Critique : The Secret life of words

Erwan Desbois | 16 avril 2006
Erwan Desbois | 16 avril 2006

Grand vainqueur des derniers Goyas – les Césars espagnols – avec quatre récompenses (meilleur film, meilleure mise en scène, meilleur scénario et meilleure direction de production), The Secret life of words n'est pas un film facile. C'est au contraire une œuvre qui déroute, voire même irrite, pendant une longue période, mais dont le dernier quart d'heure fait éclater toute la justesse et la puissance de la démarche. Hanna (Sarah Polley), l'héroïne, est le contraire d'une personne sociable et expansive. Pour ne pas déflorer l'intrigue (dans laquelle le choc de la révélation du secret de Hanna joue un rôle central), on se contentera de dire que la jeune femme a subi un traumatisme atroce qui l'a poussée à se retirer complètement du monde et à mener une existence dénuée d'amis et de plaisirs. La réalisatrice Isabel Coixet ne cherche pas à provoquer une empathie artificielle et instantanée de notre part envers Hanna, mais à nous présenter la jeune femme sur la durée, comme si cette rencontre se produisait dans la vraie vie. Ce désir de filmer au plus près de la réalité se retrouve dans la suite du récit, une fois Hanna arrivée sur la plate-forme pétrolière où elle doit s'occuper de Josef (Tim Robbins), ouvrier grièvement brûlé dans un accident et qui a momentanément perdu la vue.

Les seconds rôles qui peuplent cet endroit isolé et entourent le couple principal ne représentent pas en effet une galerie de stéréotypes destinés à varier les horizons du film. Isabel Coixet s'attache à capter les petits riens de leur quotidien : l'amour du cuisinier pour les plats raffinés, la lassitude du responsable des lieux, les ambitions cachées du scientifique… De même, les longues discussions entre Josef et Hanna sont dans un premier temps des plus banales, cette dernière profitant de l'infirmité de son patient pour rester la plus secrète possible. Face à un tel bloc de mutisme et d'introversion, le pari est difficile à tenir pour les acteurs ainsi que pour la réalisatrice. Si la diaphane Sarah Polley s'en sort superbement avec le peu d'éléments dont elle dispose pour créer son personnage, Isabel Coixet trébuche quant à elle par moments, par manque d'inspiration (le récit de la vie du groupe sur la plate-forme tourne sérieusement en rond) ou parce qu'elle bute sur les codes du mélo, genre qu'elle tente d'esquiver avec plus ou moins de réussite selon les scènes.

Les efforts de tous sont néanmoins récompensés dans la dernière partie du film, au cours de laquelle les révélations sur le passé d'Hanna nous touchent profondément – et ce d'autant plus qu'elles sont extrêmement sobres et dénuées de tout artifice. Isabel Coixet, dont le précédent long-métrage Ma vie sans moi aurait déjà arraché des larmes à une pierre, prouve ainsi à nouveau sa capacité à traiter des sujets périlleux avec une grande intelligence et une délicatesse infinie. Et signe une œuvre qui nous fait ressentir comme rarement (jamais ?) la détresse de ceux qui ont survécu à l'horreur, et comment la banalité et l'effacement peuvent leur servir de masque pour camoufler la douleur, en ne les traitant pas comme un groupe ou un concept mais comme des êtres de chair et de sang.

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