Critique : El Aura

Erwan Desbois | 23 mars 2006
Erwan Desbois | 23 mars 2006

Fabian Bielinsky aurait difficilement pu réaliser un film plus différent des Neuf Reines, son très remarqué premier long-métrage, que El Aura. De l'exercice de style appliqué et malin, il passe en effet au drame introspectif et extrêmement sérieux. Mais même si ce projet lui est de toute évidence plus personnel (les premières versions du scénario datent d'avant Les Neuf Reines), Bielinsky ne convainc que partiellement avec ce virage à 180 degrés.

L'intrigue pourrait être celle d'un film noir rusé : un homme qui vit à l'écart du monde, et dont le passe-temps est d'imaginer des scénarios de braquages parfaits, se voit plongé par des concours de circonstances successifs au cœur d'un projet de hold-up bien réel. Mais de ces fondations alléchantes, Bielinsky ne tire rien ou presque ; il fait au contraire tout pour s'éloigner le plus possible du polar. Le récit est entièrement centré sur son personnage principal, ses troubles psychomoteurs – il est sujet à des crises d'épilepsie précédées de courts instants de « surconscience » qui donnent leur nom au film –, son incapacité à communiquer avec autrui et ses questionnements intérieurs quant à la conduite à suivre. Ce parti pris est potentiellement intriguant, et suffisamment bien soutenu par la mise en scène ample et sophistiquée de Bielinsky (les moments d'aura vécus par le héros sont particulièrement bien rendus) et l'interprétation de Ricardo Darin (déjà présent dans Les Neuf Reines) pour qu'une ambiance prenante s'installe.

Mais une tentative ambitieuse comme celle-ci a ses écueils, et le réalisateur n'en évite aucun. De languissant, le rythme devient progressivement pesant, et les petites coquetteries de style – refus de nommer le héros, alternance de scènes étirées à l'extrême et d'ellipses brusques, musique minimaliste crispante – se transforment en attitudes poseuses qui desservent le film. L'absence de développement des personnages secondaires et la morale toute faite (« la vraie vie, c'est plus compliqué que les fantasmes ») achèvent de transformer l'ensemble en pétard mouillé. Ironiquement, c'est dans le polar pur que Bielinsky s'en sort le mieux : les séquences de hold-up – rêvés ou réels – sont très réussies, et le scénario offre deux ou trois rebondissements réjouissants. Au lieu d'entériner la réussite d'un changement d'orientation, El Aura ne fait que confirmer ce que l'on savait déjà du réalisateur ; un coup pour rien donc, en attendant la suite.

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