Critique : Dérapage

Julien Foussereau | 6 mars 2006
Julien Foussereau | 6 mars 2006

Hou ! le navet. Pour leur première production après leur départ de Miramax, Bob et Harvey Weinstein ont tout intérêt à ce que ce Dérapage ne fasse pas figure de « film étalon ». Ce premier film américain du suédois Mikaël Hafström synthétise à lui seul la crise identitaire et la panne d'inspiration que traverse Hollywood depuis quelques mois, en tentant désespérément de puiser dans les bonnes vieilles recettes des flashy eighties (voir Furtif, Benjamin Gates… et les autres). Bien entendu, le réalisateur tente l'adoubement du bastion cinéphile en convoquant des références nobles via des clins d'œil aussi voyants que pathétiques (Hitchcock pour L'Inconnu du Nord-Express, La Mort aux trousses, Tay Garnett pour Le facteur sonne toujours deux fois). Malgré cela, la Weinstein Co. et Hafstrom ne trompent personne avec ce téléfilm racoleur surclassé, digne de feu Hollywood Night parce que, question influences, c'est davantage du côté des drames « puritano-hypocrites » de l'ère Reagan, comme Liaison fatale et Proposition indécente, qu'il faut chercher. On a longtemps cauchemardé sur un éventuel successeur d'Adrian Lyne, les Weinstein l'ont découvert !

Les thrillers hollywoodiens franchement pas terribles ne sont pas en voie de disparition, loin s'en faut. Mais il faut bien admettre que Dérapage impressionne dans ses choix artistiques, tous plus catastrophiques les uns que les autres, à commencer par le scénario signé Stuart Beattie (Collateral notamment). Ce dernier se réjouit d'avoir écrit le scénario, chose devenue tellement rare à Hollywood. Pourtant, engager un deuxième confrère n'aurait pas été du luxe, tant le résultat final semble être le fruit d'une personne prenant manifestement son public pour une bande de crétins n'ayant jamais vu un film noir de leur vie ! La preuve par l'exemple : après que le facétieux Laroche a pourri la soirée qui s'annonçait torride entre Charles et Lucinda (et pour cause, puisqu'il profite de l'occasion pour démolir le visage de monsieur et violer madame), le méchant Français harcèle le publicitaire pour lui extorquer de l'argent. Les choses ne font que se détériorer à cause des choix stupides de Charles (dignes d'une Kim Bauer !) que le film nous présente comme tout à fait rationnels. Eh oui, vider son compte en banque pour payer le maître chanteur, et priver par là même sa fille atteinte d'un diabète mortel du financement de ses soins palliatifs, au lieu de dire à sa femme que l'on a manqué de la tromper et appeler les flics, on ne peut pas parler de choix judicieux. Tout ça pour mieux finir dans un sous-sol avec, en prime, un supplément de coups de latte ! Et on ne parlera pas du retournement de situation, visible comme un point noir sur un nez pubère dès la dixième minute…

Au-delà de la rengaine habituelle de ce genre de film (en gros, voilà ce qui arrive quand on va voir ailleurs !), le cas de la petite fille malade est d'ailleurs particulièrement révélateur du caractère abject de Dérapage. Il n'est qu'un attendrissement artificiel pour justifier les vertus bienfaisantes et relaxantes de l'autodéfense. On retrouve fréquemment dans le récit divers éléments rappelant que Charles est un mec bien, ancien prof passionné, qui sacrifie son idéal pour le métier corrompu de publicitaire afin de subvenir aux besoins de sa fille. Qu'il ait la mort d'un ancien repris de justice, qu'il a fait replonger, sur la conscience, qu'il se venge de ses maîtres chanteurs en les abattant comme Charles Bronson, qu'il fasse passer le bien-être de sa maîtresse avant celui de sa famille, cela ne pèse pas grand chose face à un happy-end où bobonne le remercie de sa conduite héroïque tandis que fifille, rétablie, court pour rattraper son bus de ramassage scolaire. Le casting est à l'image de cette morale, puant. Sans remettre en cause le talent de Clive Owen, son magnétisme ne peut pas résister au grotesque du film. Comme à l'accoutumée, l'interprétation de Vincent Cassel est tellement pachydermique que même son accent français sonne faux (en plus de rouler les yeux, il devrait agiter sa langue dans tous les sens pour que l'on comprenne bien qu'il est très très méchant !). Mais ce n'est rien, comparé à Jennifer Aniston. Incapable de se dépêtrer de l'image de Rachel Greene dans Friends, elle se révèle une piètre femme fatale. D'ailleurs l'alchimie censée se produire entre elle et Clive Owen est inexistante. Mais que les trois comédiens ne s'inquiètent pas trop, ce Dérapage, véritable « trace de freinage » sur leurs filmos respectives, risque fort de passer inaperçu en salles et de terminer sa carrière en haut d'une étagère poussiéreuse de vidéoclub. Une place qu'il aura bien cherchée.

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