Critique : The Ballad of Jack and Rose

Audrey Zeppegno | 14 février 2006
Audrey Zeppegno | 14 février 2006

Premier long métrage de Rebecca Miller, fille du dramaturge Arthur Miller et de la photographe Inge Morath, The Ballad of Jack and Rose nous propulse à la fin des années 1980, sur une île retirée de la côte est des États-Unis, où une famille monoparentale vit en quasi autarcie, coulant des jours heureux en suivant les préceptes idéalistes d'une communauté hippie moribonde. Désireux de préserver la chair de sa chair du modernisme outrancier qui chavire ses compatriotes, le chef de ce clan attaché à l'état sauvage, un ingénieur écolo allergique aux maisons préfabriquées ainsi qu'à toutes autres incursions intempestives du consumérisme ambiant, voit toutes ses belles certitudes s'éroder lorsque, mourant, il doit envisager l'avenir de son ombrageuse de fille et son acclimatation imminente au monde dont il l'a si longtemps tenue éloignée. Solitaire, possessive et complètement déconnectée de la réalité environnante, cette nymphette mi-ange mi-démon voit son jardin d'Eden imploser lorsque son père, qu'elle idolâtre au plus haut point, demande à sa maîtresse et à ses deux fils d'emménager avec eux.

Entre découvertes et sabordages du semblant de famille que son patriarche tente vainement de recomposer, l'adolescente s'éveille à des sentiments nouveaux qu'elle n'est pas prête à affronter, et son géniteur de prendre la pleine mesure des illusions biaisées qu'il lui a inculquées… Au gré des éveil commun de ces deux Robinsons aux aléas futurs qui les guettent, les visions contemplatives de ce paysage insulaire d'une beauté plastique à couper le souffle alternent avec des scènes poignantes, où l'ambiguïté quasi incestueuse de l'attachement père-fille esquisse un portrait de la civilisation en demi- teinte. À mesure que l'osmose qui régnait au sein de ce binôme va se délitant, le mépris que leur inspirent leurs contemporains se transpose à leurs propres comportements, et se reporte à l'égoïsme chevronné de l'un ainsi qu'aux sentiments malsains de l'autre. Dans le rôle de l'objecteur de conscience, un brin sonné, qui bute peu à peu contre les incohérences inhérentes à ses sacro-saints principes, Daniel Day Lewis, plus fébrile que jamais, livre une fois de plus une performance sibylline à souhait. Énième coup de maître pour cet acteur aussi rare que phénoménal qui trouve en la personne de Camilla Belle, vraie découverte, une donneuse de réplique prometteuse et brute de décoffrage qui n'a très certainement pas fini de faire parler d'elle.

Le meilleur des mondes n'existe pas. La caméra baladeuse de Rebecca Miller a beau s'extasier devant cet oasis luxuriant et multiplier les pauses indolentes au risque de crisper la frange non contemplative du public, nul ne saurait vivre dans cette marge chimérique sans consentir à battre au rythme de la société qui la borde, ne serait-ce que par intermittence. Telle est sans doute la morale de cette belle fable désenchanteresse.

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