Critique : Fauteuils d'orchestre

Vanessa Aubert | 13 février 2006
Vanessa Aubert | 13 février 2006

Pour tout spectacle comme pour tout film, il est important de bien choisir sa place : assez près pour en profiter pleinement, mais pas trop, au risque de ne rien voir.

La vie est ainsi. Ce n'est pas tout d'avoir un fauteuil en orchestre, il faut avoir le bon. C'est sur cette sentence dérivée de la phrase de Shakespeare (« La vie est un théâtre ») que les Thompson mère et fils articulent les vies de leurs personnages. Trois lieux, une unité de temps et une place de choix pour Jessica. Arrivée de Mâcon où elle a toujours été serveuse, la jeune fille-femme-enfant débarque à Paris avec son regard neuf, les conseils de sa grand-mère et l'envie de toucher du doigt un peu de cette magie vue à la télé. C'est chose faite au Bar des théâtres, point de convergence des artistes alentour. L'avenue Montaigne, dans un quartier huppé de la capitale où le tout un chacun envie ces gens du haut de l'affiche.

Et c'est justement par Jessica que les Thompson parviennent à sensibiliser le spectateur. On s'identifie, et on est touché par la fraîcheur de Cécile de France et la spontanéité de Jessica. Cette sincérité dans un monde de brutes étonne de la part d'une jeune macônnaise, mais plus encore de celle d'un collectionneur d'art, d'un pianiste de renom, et d'une star de série télévisée. Jessica est le fil conducteur de cette remise en question d'un milieu petit-bourgeois bien établi, avec des codes que ni elle ni le spectateur ne connaissent forcément. Danielle et Christopher Thompson, eux, les connaissent. Ils les décrivent avec finesse et trouvent des caractères qui suscitent compréhension et empathie. L'âge avancé de Jacques Grumberg (Claude Brasseur) face à la jeunesse de sa compagne et de son fils (Christopher Thompson), la lassitude de Jean-François Lefort (Albert Dupontel) et l'implication de sa femme dans sa carrière, le besoin d'estime de Catherine Versen (Valérie Lemercier), évoquent à tous un sentiment familier.

Pourtant, au-delà d'une habilité dans le choix de personnages forts, c'est par la perfection de son casting que le film étonne. Alors que Brasseur rappelle qu'il est l'un des plus grands acteurs français, Dupontel bouleverse par la force d'un jeu tout en retenue. Lemercier tire la couverture à elle par des situations comiques hilarantes et des répliques cousues sur elle. Et dans cette ronde, les seconds deviennent premiers : Sydney Pollack, Laura Morante, Annelise Hesme et l'impeccable Guillaume Galienne, agent qui oscille entre Versen et Bellucci. Dani surprend et émeut, Suzanne Flon touche et attendrit. Les personnages sont donc centraux. Ils font le film quand l'intrigue même nous échappe. Le changement, l'évolution, la volonté d'être soi dans un monde d'apparences, les thèmes sont là et pourtant... Ce n'est pas cela qui transporte, ce sont ces visages intergénérationnels du cinéma français, ces figures que l'on envie toujours sans les connaître jamais, et le talent des Thompson à nous montrer que le cinéma français existe encore. Intelligent sans être intellectuel. Un cinéma qui nous fait croire le temps d'un film que le meilleur fauteuil d'orchestre est bien le nôtre.

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