Critique : Le Diable à quatre

Audrey Zeppegno | 17 février 2006
Audrey Zeppegno | 17 février 2006

Bem-vindo dans l'univers chatoyant – limite kitch – d'Alice de Andrade, cinéaste fantasque hantée par des personnages hauts en couleur, teintés d'une loufoquerie à la Almodovar. Le vent dépaysant du grand Sud souffle sur cette chronique brésilienne, circoncise au périmètre idyllique de Copacabana. Le sable farineux et les vagues transparentes s'y partagent les faveurs d'amazones bombesques, qui s'étendent lascivement parmi les gangs de gamins errants, shootés aux vapeurs de colle, et les dealers à la petite semaine qui achètent leur passe-droit en magouillant avec les flics ripoux. Un horizon turquoise surplombé à l'arrière-plan par la blancheur aveuglante du fameux Pain de Sucre, et la berceuse mélancolique des airs de samba en guise de fond sonore. Un paysage de carte postale comme emblème trompeur d'un abîme de violence citadine, grimé en paradis terrestre.

«La Princesse de l'Atlantique », comme la surnomment les habitants de Rio de Janeiro, sert de terrain de jeu aux quatre protagonistes de cette valse sardonique. Car contrairement à la plongée vibrante et sauvagement désarçonnante qu'effectuait Fernando Meirelles dans La Cité de Dieu, ce premier long-métrage privilégie la douceur de ton à la fureur de vivre. L'ambiance est à la dérision, au pétage de plombs jouissif, au second degré aigre-doux qui galvanise les plaisirs les plus cocasses pour mieux stigmatiser les malaises d'un pays rongé par les inégalités sociales.

La Cendrillon nouvelle vague de ce conte déjanté officie en tant que nounou, jusqu'à ce qu'une bonne fée, accessoirement mac de profession, flaire le potentiel séducteur qui couve sous la glace, et l'enrôle dans sa maison close. Celle qui fantasmait sur un bellâtre glandeur, accro au surf et aux gourgandines professionnelles, voit en cette offre d'embauche l'occasion tant attendue d'emballer son prince décérébré mais charmant. Et l'ingénue de se transformer en poule de luxe, qui ensorcelle ses clients comme elle endormait les bambins dont elle avait la garde, en leur racontant des histoires à dormir debout. La cuisse légère et le diable au corps, la Vénus reconvertie en fleur de bitume dépasse toutes les espérances de son entremetteur.

Il suffit en effet à cette Mary Poppins peu farouche d'arborer des tenues légères pour attiser la flamme mâle, faire flancher son maquereau folklo, captiver son cupidon peroxydé et éveiller aux premières amours un jeune fugueur qui se rêve dans la peau d‘un célèbre présentateur télé… Point de misérabilisme donc. Tout ce petit monde s'acoquine et affronte la débâcle quotidienne en s'abandonnant aux plaisirs et aux petits trafics crapuleux. En résulte un songe ludique qui, à force de flirter entre drame et burlesque, lubies et réalités, cristallise à merveille le chaos interne d'un pays à deux visages.

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