Critique : La Trahison
Ceux qui s'attendent à un final sanglant où des taupes du F.L.N., infiltrées dans l'armée française, égorgent leurs supérieurs gaulois dans leur sommeil feraient mieux de ne pas s'attarder. La Trahison n'est en rien une fresque historique monumentale livrée avec son lot de sentiments exacerbés et de hurlements de souffrance. L'Histoire est succinctement évoquée avec un intertitre d'ouverture rappelant le clivage fellagas / harkis (soit indépendantistes du F.L.N. / partisans de l'Algérie française), quelques références au discours de De Gaulle (« Je vous ai compris
») et la prise de conscience finale du Sous-Lieutenant Roque (impeccable Vincent Martinez) annonçant la guerre civile après les accords d'Evian.
Son véritable sujet s'apparente davantage à la chronique quotidienne des manuvres d'un poste de commandement retiré dans le sud-est algérien : déplacements de population brutaux, missions de reconnaissance dangereuses, fouilles, tours de garde, solitude dans les chambrées, etc.
La représentation de ce train-train déplaisant figure parmi les réussites de ce film parce que la mise en scène mélange judicieusement l'esthétique documentaire avec celle, plus inattendue, du western. Association incongrue de prime abord et pourtant, elle se révèle positive lorsque, d'un côté, on a un cadrage mettant à distance les protagonistes, une découverte des informations ne précédant pas ces derniers, dénotant une approche factuelle que Raymond Depardon ne renierait pas et, de l'autre, on retrouve une minimisation de l'homme par rapport à l'immensité minérale du relief montagneux chère au western, magnifiée par le cinémascope quand les (rares) poussées d'adrénaline ne sont pas calquées sur les interminables instants précédant un gunfight (la marche lente et chaloupée de Taïeb, Achemi et les autres vers Roque au tout début est, à ce titre, troublante). De ce fait, La Trahison est constamment tiraillé entre le devoir de mémoire historique et l'universalité amenée par l'isolement géographique.
Car il ne faut pas oublier que La Trahison est d'abord une histoire vraie : derrière le Sous-Lieutenant Roque se cache Claude Sales qui publia en 1999 un livre éponyme décrivant méticuleusement l'installation sur plusieurs mois d'un climat intenable. De ce récit à la première personne, Philippe Faucon a, certes, conservé l'essence. Mais il a fait naître une fiction puissante en reconstituant ce que Claude Salles n'aurait pas pu voir : l'horrible dilemme des quatre jeunes algériens, appelés du contingent (en conséquence, ils n'étaient pas harkis) pris en tenaille entre l'allégeance au drapeau (puisqu'ils étaient français après tout) et le mépris des populations civiles qui les assimilaient à des traîtres. Le portrait de ces hommes faits de silences, de doutes et de mises à l'écart trahit un décalage terrible entre les promesses d'un Etat occupant à travers la voix du Lieutenant Roque qui leur rappelle qu'ils sont avant tout « des français de souche algérienne », les jets de pierre et les crachats des villageois ayant choisi leur camp depuis longtemps et la méfiance grandissante de leurs co-légionnaires pour qui ils ne seront jamais que des « bicots » et des « bougnoules ».
La trahison est donc triple et insupportable. Mais, comme Claude Salles le rappelle, c'est la personne trahie qui définit le traître et quand ce traître vit constamment dans la destruction de son libre-arbitre et le déni de son identité, peut-on vraiment lui en vouloir ? S'il est tout aussi difficile de juger des hommes comme Roque formant les forces françaises, envoyés pour accomplir une mission qui n'a plus aucun sens, peut-on réellement blâmer Taïeb (impressionnants débuts de Ahmed Berrhama) lorsqu'il lâche un « Vive l'Algérie libre ! » si longtemps refoulé ? Surtout lorsque l'on sait avec le recul qu'il va devoir rendre des comptes aux siens avec la guerre civile qui ravagera son pays ? Rien que pour ces questions, La Trahison s'avère essentiel.
Lecteurs
(0.0)