Critique : Rochester, le dernier des libertins

Audrey Zeppegno | 23 janvier 2006
Audrey Zeppegno | 23 janvier 2006

Il est rare de voir Johnny Depp s'extirper de ses rôles de parfaits gentlemen pour camper un coureur de jupons crapuleux à souhait. Et bien, l'heure est venue de détester ce monsieur zéro défaut et d'y prendre un plaisir jouissif. En incarnant John Wilmot, deuxième comte de Rochester, l'adorable Depp troque son image idyllique pour simuler les déviances d'un ténébreux libidineux qui aime à se vautrer dans des limbes de stupre et de foutre.

D'emblée, l'acteur fomente son œuvre de sape au gré d'un monologue dantesque qui donne le ton obscurantissime de ce biopic hors du commun. Nul décorum fastueux ni protocole pompeux ne vient en effet parasiter cette fresque historique, entièrement consacrée au déclin de ce cavaleur sulfureux. Puritanisme hollywoodien oblige, ce portrait réalisé par Laurence Dunmore tire vers le noir, mais pare à la nudité rampante qu'exigeait son sub-texte érotique, en privilégiant la part d'ombre qui ronge son anti-héros. Tourmenté, irrévérencieux, tour à tour flamboyant et dépravé, Rochester y apparaît moins comme un obsédé pervers que comme un spectre nauséabond, sérieusement enclin à l'autodestruction, et frappé dans la fleur de l'âge par une morne déliquescence.

Pas la peine de frétiller du genoux mesdames, votre palpitant ne risque donc pas de s'emballer pour ce dernier des libertins, car ce libre penseur dévoué corps et âme à la quête de la luxure stigmatise toutes les sales manies de macho man qui vous écoeurent en temps normal. De fait, lorsque l'auteur de Quintessence et délices de la débauche ne produit pas des pièces subversives, peuplées de gourgandines chevauchant lascivement de gigantesques godemichés, il vogue de femme en femme, boit tout son saoul et contamine d'un cynisme subversif l'esprit rococo de ses contemporains. De préliminaires suaves en coucheries morbides, de ses éclairs de génie à ses nuits d'ivresse, des baisodromes salaces aux théâtres dont il hantait les arcanes, la caméra colle aux basques de ce punk avant l'heure, gravitant entre les tavernes glauques de l'Angleterre boueuse du XVIIe siècle et la cour du roi Charles II (John Malkovich dans la peau d'un incorrigible politicard). Focalisé sur la décrépitude physique et psychique de cet être rageur en proie à la parano, l'objectif virevolte autour de Depp qui livre une prestation si magistrale qu'elle éclipse tous les autres personnages.

En résulte un voyage au bout de la nuit envoûtant, qui aurait pu choquer et briller davantage s'il n'avait pas gommé les illustres orgies sexuelles de son protagoniste, par respect de la sacro-sainte décence américaine.

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