Critique : Nouvelle cuisine

Patrick Antona | 30 janvier 2006
Patrick Antona | 30 janvier 2006

Nouvelle cuisine est la version longue de l'un des trois segments du film à sketchs 3 extrêmes sorti l'an dernier en salles et en DVD (voir le test DVD). Mais plus qu'un allongement du métrage, attendez-vous à un quasi-film original tant les apports que le remontage effectué par Fruit Chan, réintégrant toute une partie de l'intrigue qui avait été supprimée, modifient la donne tout en lui donnant une dimension qui le rend supérieur au court dont il est issu.

Tiré d'une nouvelle de Lilian Lee et produit par Peter Chan (producteur de The Eye I & II), Nouvelle cuisine illustre avec sens la quête de l'éternelle jeunesse dans notre société actuelle (bien que l'action se passe à Hong Kong) et des abus qui en découlent, tout en virant vers le suspens horrifique autant que psychologique, faisant du film de Fruit Chan un des chocs salutaires de ce début d'année. Le premier atout manifeste vient du duo de charme sur lequel s'appuie le film avec d'un côté Miriam Yeung (star chinoise plutôt abonnée aux comédies), excellente en ex-actrice de soap opera désirant retrouver sa séduction perdue et de l'autre la globbe-trotteuse Bai Ling (The Crow, Red corner, She hates me, et Taxi 3 malheureusement…) qui trouve enfin un premier rôle à la hauteur de son talent avec le personnage haut en couleurs de Tante Mei. Elle est indéniablement la révélation de Nouvelle cuisine par son interprétation de cette mystérieuse pourvoyeuse de fontaine de jouvence culinaire. Le contrepoids aux actrices féminines principales est assumé par la vedette Tony Leung Ka-Fai (L'Amant bien sûr et bientôt dans le prochain Johnnie To, Election) dont le rôle est ici considérablement étoffé, en regard du court, et qui excelle dans ce personnage de vieux beau charismatique et sans scrupule.

Mais plus encore qu'un film d'acteurs, Nouvelle cuisine est aussi une œuvre particulière, à la mise en scène intelligente et dont les effets horrifiques et réalistes servent le propos avec intelligence. Après un début atmosphérique et angoissant, où la bande sonore avec ses effets sonores appuyés et ses bruits de mastication appuyés sont pour beaucoup dans le malaise ressenti, on bascule petit à petit dans l'horreur à la fois psychologique et physique. Quand sont dévoilés, assez rapidement d'ailleurs, les origines macabres des compositions culinaires de Tante Mei (Bai Ling), et que se développe insidieusement la dépendance de Mme Lee (Miriam Yeung), toujours avide de rajeunissement, le récit demeure exclusivement un drame féminin, presque conventionnel, si on omet la réalité de ce qui est ingéré ! Le parallèle aux recours à la chirurgie esthétique et autres crèmes dont les femmes abusent pour garder leur position, sous la pression sociale, étant manifeste et assimilé à une forme de cannibalisme plus ou moins déguisé, Fruit Chan évite le pensum facile en faisant évoluer ses personnages vers quelque chose de plus subtil. Car une conséquence entraînant une autre, la tentation du toujours plus mène vers un drame aux échos plus complexes, où chacun des protagonistes sera amené à se croiser (sans faire de révélation, ici réside une des scènes de sexe emblématique du film) et à dévoiler son côté le plus obscur. Mais en évitant de verser dans le grotesque et le sensationnel, bien que certaines séquences sont bien dignes d'un film d'horreur, Fruit Chan réussit à faire passer tout un discours assez pessimiste sur la nature humaine, qui apporte encore plus de substance (tout comme les raviolis chinois de Tante Mei !) à Nouvelle cuisine.

Sont ainsi évoquées la course perpétuelle pour la perfection physique qui affecte autant les hommes que les femmes, l'hypocrisie des conventions sociales, la domination par le sexe, la politique de l'enfant unique qui prédomine en Chine et ses conséquences néfastes (un petit coup de griffe politique en passant !), le tout étant brassé avec bonheur dans un récit aux connexions multiples, et dont le catalyseur essentiel est Tante Mei. De simple sorcière moderne à la moralité bien particulière, son personnage évolue quand se lève peu à peu le voile sur ses origines et que son destin va se mêler avec celui de sa cliente principale. Effrontée, sexy, allumeuse, opportuniste mais aussi cruellement réaliste sur les conséquences de sa « nouvelle cuisine », elle est animée avec talent par une Bai Ling au mieux de sa forme, qui habite pleinement un personnage auquel elle donne l'impression de s'être presque identifiée (lire l'interview). Miriam Yeung n'est pas en reste, dans un rôle plus en retenue apparente, ex-bimbo esseulée et trompée, elle réussit à être touchante lorsqu'elle est confrontée au miroir de ses illusions perdues, tout en parvenant à casser le carcan de la pauvre femme victime et maltraitée en révélant sa nature de véritable prédatrice. Quand à Tony Leung Ka Fai, dont la filmographie doit approcher dorénavant les 100 titres, il fait passer avec réalisme, et en quelques scènes, tout un pan de la vanité masculine sans jamais verser dans la caricature rapide.

Indéniablement, Nouvelle cuisine est le film a ne pas rater en ce début d'année. Car en plus de ces thèmes abordés, il demeure un objet filmique tout à fait maîtrisé qui réussit à faire passer ses quelques baisses de rythme. Avec ses cadrages soignés, soulignant encore plus le côté perturbant (et perturbé) du film et de ses personnages, le tout rehaussé par la photographie glacée de Christopher Doyle, qui a bien réussi à s'affranchir de Wong Kar Waï pour une fois, Fruit Chan réussit à amener le spectateur sur des terrains insoupçonnés, preuve de son grand talent. Illustré par des dialogues cinglants et des formules acerbes confondantes de réalité, surtout quand elles sont énoncées par la jolie bouche de Tante Mei, Nouvelle cuisine gagne ses galons de comédie noire presque définitive sur un sujet encore peu abordé au cinéma, portrait au vitriol du monde moderne et de ses dérives (se rapprochant par là de la série TV Nip/Tuck). Bien plus qu'un fascinant conte d'horreur, c'est toute une réflexion sur le culte de la beauté, sur le sens de la vie et sur la laideur inhérente, tapie sous une certaine forme de la passion humaine, qui sont dispensées par le film de Fruit Chan et dont la résonance fait écho bien au-delà du « cut » final…ou de la dernière bouchée.

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