Critique : Tout est illuminé

Johan Beyney | 13 décembre 2005
Johan Beyney | 13 décembre 2005

Avec ce premier film adapté d'un roman à succès, Liev Schreiber (le Cotton Weary de la saga Scream) nous livre un petit bijou de poésie et de fantaisie et s'impose comme un réalisateur de talent. Film hybride né du croisement du cinéma indépendant américain avec l'énergie loufoque de Kusturica et la poésie du Big Fish de Tim Burton, Tout est illuminé est l'une des comédies dramatiques les plus drôles et les plus émouvantes que les studios américains nous aient envoyée depuis belle lurette.

Tout commence aux États-Unis. Jonathan est un collectionneur : gardien de la mémoire familiale, il archive dans de petits sacs en plastique zippés tout ce qui lui semble évoquer avec pertinence chaque membre de la famille Foer. Lettres, photographie, et autres objets aussi divers que variés garnissent ainsi le mur commémoratif dont il a la charge. Dans son univers aseptisé, Jonathan a l'air aussi hermétique que ses sacs plastiques. Portant costume anonyme et impeccable, Elijah Wood s'avère parfait pour incarner le rôle de cet homme timide, obsessionnel, tellement absorbé par sa mission qu'il finit par s'oublier lui-même. Son étrange visage sans aspérités est rehaussé de lunettes à triple foyer qui agrandissent encore son regard. Car dès qu'il est question de souvenirs – surtout quand ils sont douloureux –, les méthodes diffèrent : il y a ceux qui cherchent la vérité derrière leurs lunettes en cul de bouteille, ceux qui cherchent à oublier en se cachant derrière des lunettes noires, et ceux qui n'y pensent pas.

Pour traiter ce sujet sensible du devoir de mémoire, Liev Schreiber se montre d'une audace incroyable de la part d'un réalisateur américain : non seulement il déplace son récit en Ukraine (et il va y tourner pour de vrai !), mais il embauche des acteurs du coin (dont certains sont bien loin des canons de beauté hollywoodiens) et, surtout, il va imprégner son film de la culture locale. Dans cet espace de liberté, le réalisateur-scénariste impose un rythme effréné qui repose autant sur des dialogues finement ciselés que sur une réjouissante inventivité visuelle et une bande-son extraordinairement efficace (un mélange de musique traditionnelle juive et de rock tzigane festif proche de celui du No Smoking Orchestra, dans lequel on retrouve encore Emir Kusturica).

En Ukraine, Jonathan va rencontrer Alex et son grand-père, spécialisés dans le « tour operator mémoriel » pour riches juifs américains à la recherche de leurs racines. De la réunion de ces trois personnages (et d'un chien hystérique nommé Sammy Davis Junior Junior) dans une vieille Trabant pourrie va émerger une dynamique très rafraichissante et énergisante. Sans jamais sombrer dans le pathos, le film offre une première partie extrêmement drôle (à voir en VO pour les quiproquos linguistiques) puis finit par céder à l'émotion. De manière très subtile, le réalisateur nous fait passer du rire aux larmes et pose les questions essentielles sur le devoir de mémoire, le poids du secret et la notion d'héritage.

Concentré d'émotions et d'énergie, de créativité et de finesse, Tout est illuminé offre une leçon de vie en même temps qu'un pur moment de plaisir cinématographique, et s'impose comme l'une des plus belles surprises de cette fin d'année.

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