Critique : Gentille

Louisa Amara | 12 décembre 2005
Louisa Amara | 12 décembre 2005

Un point de départ qui aurait pu faire le bonheur de producteurs américains, avides de comédies romantiques faciles. Imaginez Meg Ryan ou Reese Witherspoon dans le rôle titre et vous saurez ce à quoi nous avons échappé. Comment Sophie Fillières a-t-elle donc réussi à éviter un sous Bridget Jones ? C'est avant tout grâce à ses dialogues ciselés, à sa loufoquerie et au talent de ses comédiens. Gentille réinvente la comédie, en y apportant un sens de l'absurde, une fraîcheur qu'on attendait plus dans le cinéma français.

L'absurde made in France n'est pourtant pas toujours efficace. Akoibon n'avait que partiellement convaincu. Quant au film de Chantal Akerman, Demain on déménage, il avait réinventé, lui, l'ennui et l'exaspération. Réalisatrice et scénariste formée à la Femis, on pouvait craindre de Sophie Fillières un « film chiant intello à la française », mais elle a compris depuis ses débuts qu'un film intimiste pouvait aussi être léger, rythmé. Six ans après Aïe, avec André Dussolier, Hélène Fillières et déjà Emmanuelle Devos, la réalisatrice va plus loin. On la sent plus mûre, son univers est plus cadré et inspiré. Ses personnages au grain de folie séduisants et touchants deviennent plus accessibles. Une poésie empreinte de bizarrerie envahit agréablement l'espace. Grâce à son héroïne, fil rouge, elle garde une narration claire tout en se permettant quelques écarts pour donner à chaque personnage l'occasion de raconter son histoire, comme Michael Lonsdale, formidable en beau-père ex-SDF. Un petit défaut, toutefois, et apparemment constant chez Sophie Fillières : elle ne veut pas finir ses films, à l'instar de Peter Jackson avec la fin du Retour du roi (oui, elle était trop longue), mademoiselle fait durer le plaisir. Là où une scène aurait suffit, elle en met quatre. Certainement dû à un trop grand enthousiasme, à une envie d'en dire plus, cette petite faute est excusable.

La cinéaste prend le risque de nous choquer en n'hésitant pas à filmer la nudité la plus crue, pour ne faire entrer pleinement dans le quotidien de son héroïne. Si l'on comprend la démarche, on peut s'étonner de voir les sexes de Bruno Todeschini et Emmanuelle Devos filmés frontalement, sans pudeur. Mais Sophie Fillières n'est pas Jean-Claude Brisseau (et c'est tant mieux), il n'y a que de la sympathie dans son regard. Elle renforce l'identification à son héroïne par une scène qui marquera (ou dégoûtera) les spectateurs. Mais la gente féminime en particulier la comprendra : toute femme normalement constituée ferait absolument tout, pour récupérer une bague de fiançailles malencontreusement avalée.

C'est drôle, vif, on est touché par les personnages. Chacun y exprime une folie et un charme constants, Lambert Wilson en particulier. Emmanuelle Devos, habituée aux drames, s'en donne à coeur joie, ravie de pouvoir exprimer une autre facette de son talent. Face à cette héroïne forte et timbrée, il fallait un homme à la hauteur, Bruno Todeschni incarne à merveille cet homme amoureux, un peu dépassé par les événements.
Avec Gentille, Sophie Fillières réussit à parler des doutes d'une femme, à un tournant de sa vie, en étant à la fois sincère, drôle et juste. Un petit bijou dont certains devrait s'inspirer...

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