Critique : Une belle journée

Johan Beyney | 1 décembre 2005
Johan Beyney | 1 décembre 2005

Bus à deux étages, cabines téléphoniques rouges, famille royale, haggis écossais, cérémonie du thé, nombreuses sont les spécialités du Royaume-Uni. Il semble aujourd'hui nécessaire d'ajouter à cette liste une contribution très british à l'univers si vaste du cinéma : la tragicomédie ouvrière. Las de ne voir au cinéma que des corps bodybuildés de héros improbables ou de vamps surréelles, le cinéma anglais attache une importance toute particulière à honorer ses compatriotes les plus besogneux, de ces travailleurs qui malgré la misère, le chômage ou un dur labeur savent conserver leur joie de vivre avec dignité. Or, si comme pour toute spécialité régionale il existe quelques variantes, la recette de base reste la même.

UN. Tout d'abord, il s'agit de faire vrai. Pour cela, il faut planter la caméra dans un endroit crédible du point de vue sociologique. À ce titre, la banlieue de Liverpool ou de Glasgow fera très bien l'affaire (mais tout autre endroit est envisageable à partir du moment où ses habitants ont un accent suffisamment pittoresque et qu'il existe à proximité une mine ou une usine). Ensuite, il faut une poignée d'acteurs adéquats. Exit les Brad Pitt et autres Julia Roberts, ce sont de vrais gens qu'il nous faut (comprendre pour les hommes : trop maigre, trop gros, vieux, chauve ou rougeaud, et pour les femmes : boudinées, trop maquillées ou trop blondes).

DEUX. En second lieu, le ou les personnages principaux doivent être confrontés à une crise professionnelle (fermeture de la mine, travail trop éreintant, chômage imminent ou de longue durée, grève…) et familiale (divorce, mort de la mère, perte de la garde des enfants, conflit idéologique ou culturel père/fils).

TROIS (étape fondamentale). Face à ces terribles épreuves, le héros (pardon, l'anti-héros) va se mettre en tête de retrouver sa dignité perdue en se lançant un défi qui va lui permettre de résoudre sa crise familiale et de redonner par la même occasion espoir à son quartier et/ou à une poignée d'ex-collègues (la mine a fermé on vous a dit) qui auront rattrapé le train en marche. C'est ici que le réalisateur peut vraiment laisser libre cours à son imagination : organiser un strip-tease total, monter un groupe de soul, devenir danseur-étoile, remonter la fanfare de la mine (fermée, donc), éditer un calendrier où tout le monde est tout nu : n'importe quoi pourvu que ce soit assez éloigné des réalités sociales des protagonistes pour pouvoir les faire rêver sur le mode « pourquoi pas nous ? ».
Résultat imparable : le spectateur rit, pleure et finit submergé par les flots d'émotion que suscitent chez lui la formidable solidarité ouvrière, le retour de la communication dans ces familles où l'on n'ose pas se dire « je t'aime », le sentiment de fierté et de dignité, bref, des tonnes d'humanité.

Une belle journée ne déroge pas à la règle. En suivant scrupuleusement le mode d'emploi décrit plus haut (UN/ Une ville portuaire avec un chantier naval et Peter Mullan, habitué de Ken Loach, en personnage principal ; DEUX/ Chômage et crise père/fils ; TROIS/ Traverser la manche à la nage), le film parvient au résultat attendu. Cependant, si l'on passe un bon moment, il aurait été encore plus plaisant que s'ajoute au triptyque rires/pleurs/émotion un ingrédient essentiel : la surprise.

PS : pour aider les réalisateurs qui voudraient s'essayer à cet exercice, voici quelques propositions concernant la phase n°3 : monter Cats à la MJC de Manchester, tricoter le plus grand pull en shetland du monde, remporter le concours national de mangeage de fish'n chips ou faire Endinburgh-Belfast dans une montgolfière en patchwork. Si vous avez des idées, n'hésitez pas…

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