Critique : Factotum

Patrick Antona | 23 novembre 2005
Patrick Antona | 23 novembre 2005

Matt Dillon incarnant Charles Bukowski ! On avait beau ne pas attendre dans ce rôle celui qui demeurera à jamais Rusty James, la performance de l'acteur force l'admiration. En quelques secondes, la transformation s'opère, la magie du jeu est là, Matt Dillon EST Henry Chinasky, double littéraire de Bukowski, héros cynique et picaresque d'une odyssée éthylique, qui le mène de femme en femme, de bar en bar, tissant sa légende de poète du trottoir et de l'oisiveté.

Réalisé par Bent Hamer, metteur en scène norvègien dont le dernier film, Kitchen Stories, sorti en 2003, a connu un joli succès et reçu quelques prix, Factotum se présente comme une suite de saynètes, mettant en scène les errances de Henry Chinasky, entre ses relations féminines (dont une Lili Taylor magistrale et la revenante Marisa Tomei), sa passion des courses équestres et sa propension à perdre un travail dès la première journée de boulot entamée ! Évitant le côté glamour de la beauté d'un comptoir de bar la nuit ou le côté « clochard céleste » que l'on pourrait accoler à l'écrivain américain, Bent Hamer s'attache tout au long des pérégrinations de Chinasky à décrire un environnement banal, avec ses mornes banlieues américaines, ses petits chefs obséquieux remplis de morgue, ses personnes esseulées en manque d'amour, et ce le plus simplement possible. En gros, Factotum ne ressemble en rien à Barfly avec Mickey Rourke (lui aussi dans Rusty James , tiens, tiens ...), adapté aussi des récits autobiographiques de Charles Bukowski.

Centré principalement sur le personnage interprété de manière magistrale par Matt Dillon et de ses relations avec un monde qui l'importune plus qu'il ne l'intéresse, le film ne se résume pas uniquement en une suite de sketchs censés mettre en relief la performance de son acteur principal mais bien comme une ballade pas tout le temps agréable dans les brumes de l'alcool et de la déchéance. Factotum évite le piège du sordide par un humour qui désamorce nombre de séquences scabreuses (la lutte contre les morpions entre autre) et conserve toute l'âpreté et la causticité d'un personnage à qui « on ne la fait pas ».

Malheureusement, Bent Hamer ne réussit pas à donner l'impulsion nécessaire dans son récit pour que, à un moment, on puisse quitter la distance nécessaire qu'il y a entre nous et ces personnages au bout du rouleau, et faire corps avec leur détresse. De même, les personnages féminins qui jalonnent la vie amoureuse de Chinasky/Bukowski, de Jan (Lili Taylor) à Laura (Marisa Tomei) ne sont pas exploités au maximum de leur potentiel, même si les comédiennes réussisent à être solides dans leur interprétation. D'ailleurs la crudité des propos de l'écrivain concernant les femmes n'est pas franchement abordé dans le film, il vaut mieux pour cela se plonger dans sa littérature. De même, Bent Hamer ne rentre pas dans l'explication du processus créatif qui mènera Charles Bukowski à sa renommée actuelle et paradoxale, bien que ce processus apparaît en filigranne dans les échanges épistolaires entretenus avec les maisons d'édition. Vaines tentatives d'essayer de faire publier ces nouvelles dont personne ne veut, ces scènes en deviennent ainsi essentielles, rythmant un récit qui manque parfois d'allant.

Sarcastique et âpre, l'histoire du poivrot Chinansky reste attachante et hautement recommandable pour tout amateur de personnage atypique et haut en couleurs ou pour ceux qui voudraient se frotter au mythe Bukowski, sans en connaître la teneur de ses oeuvres. Éludant avec élégance les écueils qui pourrait faire de Factotum un portrait misérabiliste d'une certaine Amérique, même si on aurait aimé un peu plus de vitalité de sa part, Bent Hamer trace le portrait finement ciselé d'un anticonformiste qui s'assume pleinement, mais qui cherche quand même la petite étoile qui luit au bout du comptoir.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire