Critique : Trois enterrements

Vanessa Aubert | 14 novembre 2005
Vanessa Aubert | 14 novembre 2005

Welcome to Texas. Région frontière avec le Mexique à la lisière de deux cultures. Une part de l'Amérique semblant ne répondre qu'à ses propres lois que Tommy Lee Jones décrit à merveille pour bien les connaître. Texan d'origine, l'acteur filme son univers avec passion mais sans concession. Ses multiples casquettes sur ce film (acteur, réalisateur, producteur) démontrent son implication et le caractère personnel de cette histoire. Celle de Melquiades Estrada, jeune clandestin au nom romanesque et fil conducteur de cette belle échappée.

En demandant à Guillermo Arriaga d'écrire le scénario de son premier long-métrage, Tommy Lee Jones misait sur une créativité déjà reconnue. Affirmé dans 21 grammes, son talent (récompensé par le Prix du scénario au dernier Festival de Cannes) s'exprime d'abord ici dans une construction en flashback servant de présentation des personnages. En intégrant un étranger dans l'univers clos du Texas, il assure de la spécificité d'un endroit rythmé par un quotidien ennuyeux. Les temps se mélangent pour oublier le passé du présent avant d'aborder une partie plus captivante : le voyage. Si la lenteur du film semble en accord avec la nonchalance du lieu, la traversée du désert suscite davantage l'intérêt par l'inconnue propre à l'aventure. C'est en quittant sa terre que Pete Perkins se découvre ; c'est en perdant son statut social que Mike Norton s'humanise. Le retour du corps de Melquiades au pays fait office de révélateur pour les personnages qui ont changé sa vie au plus près. Un voyage initiatique prenant des accents de documentaire tant la photographie de Chris Menges révèle des paysages d'une rare beauté.

Tommy Lee Jones dévoile ses qualités de filmeur en domestiquant les espaces et en y créant une intimité. L'admiration pour les grands du western se fait sentir mais il actualise les codes pour porter son histoire. Il met de l'humain dans des instants de western pur et crée des scènes prenantes, profondes. La rencontre avec le vieil homme aveugle, le cri de Barry Pepper dans l'immensité désertique sont des moments forts de sens et d'émotion. Déjà bluffant dans La 25ème heure, Barry Pepper étonne par la force d'un jeu en constante évolution. Meilleur acteur de seconds rôles (selon l'Oscar qu'il reçut en 1994), Tommy Lee Jones se donne l'un voire le plus beau rôle de sa carrière en mettant sa maturité au service d'un personnage vieillissant et en plein doute. Le duo excelle assurant au passage le talent de Tommy, directeur d'acteurs. Le Prix d'interprétation masculine qu'il reçut à Cannes semble pourtant lui indiquer qu'il faudra plus d'un film pour attester de son entrée chez les cinéastes. Les qualités multiples de son premier long-métrage laissent néanmoins présager de futures réalisations tout aussi abouties et pleine d'humanité. Trois enterrements… et une naissance ?

Résumé

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Lecteurs

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commentaires
Flo
10/10/2023 à 13:45

On oublie un peu vite à quel point ce film est drôle, limite une comédie dramatique car usant de ruptures de ton insolites quand on ne s’y attend jamais. Suivant le modèle de quelques westerns/films de frontière, qui n’hésitaient pas à inclure des moments de légèreté au milieu d’histoires plutôt dures (il faut bien divertir le public, question de politesse).
Mais ces ruptures sont aussi scénaristiques, dûes à Guillermo Arriaga, ainsi que dans sa mise en scène, très surprenante :
Le dispositif mis en place oblige ainsi les spectateurs à accepter l’inclusion de flashbacks significatifs dans la narration, sans qu’aucun effets cinématographiques ne viennent nous avertir. Un peu comme si Passé et Présent ne faisaient qu’un – au moins, pendant la première moitié du film, jusqu’à ce que cette épopée commence.
Épopée un peu picaresque d’ailleurs, où la quête du protagoniste principal que joue Jones est plus une fuite en avant, prenant le prétexte d’une vengeance, et d’une promesse noble, et de la désobéissance à face à une société méprisante… et malgré tout, rien ne va se passer comme prévu – pas si facile de faire le chemin avec un cadavre et un prisonnier.

Mais dès qu’un shérif lessivé (Dwight Yoakam) décide de baisser son fusil, on comprend qu’on n’est pas vraiment comme dans "Seuls sont les insoumis". Que le film va continuer à prendre des chemins de traverse étonnants, entre quelques scènes chocs et autres itérations qui lient entre eux une poignée de personnages hétéroclites et perdus (cowboys, femmes qui attendent, flics de l’immigration - on pense au début de "Men in Black", clandestins, autochtones), des deux côtés de la frontière americano-mexicaine. Rien que la séquence avec le vieil homme aveugle, étape incroyable et touchante, vaut son pesant d’or.
Ça peut faire un peu penser à du Don Quichotte, à du Bunuel (la chute du cheval dans le vide), ça a une identité visuelle très variée (l’irruption de couleurs typiques)… bref ça montre des gens peinant à quitter la stagnation, désabusés par des promesses illusoires.
Ainsi que la double construction d’une relation simili filiale, avec un transfert d’un jeune type à l’apparence bien brave (mais pas considéré du tout), vers un autre jeune gars à l’apparence plus acceptable pour des américains, mais dont la bêtise enfantine doit l’obliger à se réinventer. Via une "mort symbolique"…
Mais c’est le cas de beaucoup de gens dans ce conte funèbre à la lisière du Fantastique, préfigurant le même Tommy Lee Jones de "No country for old men".

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