Critique : Gémeaux

Zorg | 2 novembre 2005
Zorg | 2 novembre 2005

Le cinéma argentin n'est pas à proprement parler le plus en vue de la scène mondiale. En effet, rares sont les films originaires du pays du tango qui arrivent sur nos écrans. C'est dès lors avec une bonne dose de curiosité, mais aussi de méfiance, qu'on aborde un long-métrage originaire de cette contrée. Particulièrement quand la réalisatrice ose relever un pari pour le moins risqué en s'attaquant au tabou ultime : une histoire d'inceste entre un frère et une sœur.

De part son sujet qui sent le soufre, Gémeaux pose un double problème : comment raconter et comment filmer ce qui ne peut être montré ? Comme narrer l'histoire de ces deux jeunes, comment expliquer le pourquoi d'une relation contre-nature sans tomber dans une diatribe moralisatrice indigeste, sans excuser ni cautionner l'inexcusable ? Comment filmer cette relation sans verser dans un voyeurisme crasse ? Si Albertina Carri se sort relativement bien de ce piège un rien pervers à travers une mise en scène simple et en filmant au plus près des individus, tout n'est pas parfait pour autant.

La réalisatrice argentine attaque en effet le problème en conjuguant le drame familial à une critique de la société argentine, et plus particulièrement de sa bourgeoisie. Mère dominatrice s'accaparant le centre de la vie familiale, père absent et de toute manière totalement dépassé par les événements, enfants oisifs ne sachant pas comment occuper leurs journées, employés de maison maintenus dans une certain forme d'ignorance et d'abrutissement, sans oublier les autres branches envahissantes de la famille et des traditions séculaires au goût douteux (faire chevaucher un étalon à une jeune mariée a plus à voir avec les arbres de mai et les superstitions rurales sur la fertilité qu'avec les simples joies des plaisirs équestres) tout concourre à faire de cette famille que rien ne distingue de sa voisine d'une parfaite métaphore de la classe qu'on nous présente comme dirigeante.

Tout converge vers la mixture explosive qui fera se concrétiser l'impensable. Par cette corruption suprême des corps et des esprits, la réalisatrice dénonce autant la déresponsabilisation de ces jeunes désoeuvrés que la corruption de la société en général. Ces deux amants interdits sont-ils victimes ou coupables ? Albertina Carri refuse d'être juge et parti, bourreau et avocat. Elle ne juge certes pas ses personnages, mais elle les dédouane de toute responsabilité envers leurs actes. En confrontant son auditoire de manière progressive à l'acte interdit, elle tempère sa réaction comme on amadoue un animal sauvage. L'indifférence succèderait-elle alors à la tolérance ?

À l'image du long plan séquence final, qui donne l'impression d'avoir été construit pour être le plus pénible possible, pour rapprocher le spectateur au plus près du cauchemar de tous les instants vécus par les protagonistes après l'explosion du drame, pour renforcer le sentiment de répulsion, d'impuissance, et surligner l'incapacité à se sortir du piège, le spectateur reste continuellement partagé entre un certain malaise et une curiosité vaguement compatissante au malheur des gens. À cause d'un final trouble, et d'une certaine manière un brin cruel bien qu'à l'unisson du propos tenu durant le reste du métrage, Gémeaux reste un film sobre malgré un sujet délicat.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire