Critique : Bataille dans le ciel

Erwan Desbois | 24 octobre 2005
Erwan Desbois | 24 octobre 2005

Grâce à des réalisateurs comme Guillermo Del Toro et Alejandro Gonzalez Iñarritu, voici quelques années maintenant que le cinéma mexicain sort de l'ombre de son envahissant voisin nord-américain. Si la machine hollywoodienne a récemment mis la main sur les deux hommes susnommés (respectivement pour Hellboy et 21 grammes), le troisième larron qu'est Carlos Reygadas a de fortes chances de conserver une entière indépendance. Bataille dans le ciel, sélectionné à Cannes en mai dernier, creuse en effet le sillon entamé par Japón, son premier long-métrage : témoigner, via des fictions militantes et extrêmes tant sur le fond que dans la forme, des violents drames sociaux qui secouent son pays.

Bataille dans le ciel nous fait ainsi suivre la remise en question profonde de sa vie que traverse Marcos, chauffeur privé pour un général et sa famille, après que le bébé volé à une voisine par sa femme et lui-même pour en tirer une rançon soit mort accidentellement. Une quête de sens qui passera par un éloignement progressif vis-à-vis de sa famille, par des ébats sexuels crus et sans lendemain avec Ana, la fille du général, et enfin par un désir de rédemption spirituelle. Reygadas vise de manière évidente à donner à cette histoire une portée qui va bien au-delà du simple récit des péripéties vécues par les personnages ; ces derniers sont en effet autant de symboles, renforcés par des choix de mise en scène très tranchés. Le plus réussi est l'opposition entre Marcos et Ana : elle vient d'une classe aisée, évolue dans des lieux spacieux et paisibles nimbés d'une lumière blanche éclatante, prend la vie comme elle vient – se prostituant pour le plaisir, sans doute par ennui aussi –, là où lui est un métis de la classe moyenne, associé à des décors sombres et oppressants (le métro, son appartement, la voiture qu'il conduit), et pris dans un engrenage infernal de mal-être et de violence.

Comme on le voit, Carlos Reygadas semblait avoir toutes les cartes en main pour faire de Bataille dans le ciel une œuvre coup de poing, qui marque le spectateur de façon indélébile. Mais pour cela, il aurait fallu une réalisation moins imbue d'elle-même. À force d'étaler sa virtuosité sans pour autant la mettre au service du récit, Reygadas décrédibilise en effet son film et en fait une simple démonstration de ses talents de cinéaste. De gimmicks visuels usés jusqu'à la corde (son préféré étant l'utilisation du travelling pour relier par la caméra deux personnages éloignés dans l'espace) en expérimentations sonores stériles (oui, accompagner par une composition de Bach à plein volume une scène où un homme fait le plein d'essence crée un décalage certain ; mais si ce décalage n'ouvre sur rien, où est l'intérêt ?), Bataille dans le ciel est dès lors un long purgatoire pour le spectateur, totalement exclu de l'entreprise de masturbation cinématographique à laquelle s'adonne Carlos Reygadas.

Et lorsqu'il cherche à choquer – car c'est bien connu, un film d'auteur se doit de faire violence au public afin de bousculer ses certitudes – avec des scènes de fellation non simulées, le réalisateur rate une nouvelle fois le coche. Non seulement parce qu'il a plusieurs trains de retard (cela a déjà été fait à des époques où cette pratique était autrement plus taboue qu'aujourd'hui), mais surtout car cette soi-disant provocation n'ouvre que sur un message (le sexe et l'amour sont deux choses distinctes) bien faiblard par rapport aux moyens mis en œuvre pour le faire passer. Reygadas n'en étant qu'à son deuxième long-métrage, il est encore possible d'espérer que ces gesticulations aussi inutiles que pénibles ne sont que des défauts de jeunesse, et qu'avec le temps il saura s'en débarrasser et réaliser des films ne s'adressant pas seulement à lui-même mais aussi au public.

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