Critique : Edy

Johan Beyney | 27 octobre 2005
Johan Beyney | 27 octobre 2005

Jusqu'ici, François Berléand nous a plus ou moins habitué à des personnages antipathiques (Les Choristes), losers (Narco), véreux (Ma petite entreprise) et/ou pourris (Mon idole). Le voilà qui apparaît aujourd'hui dans un rôle qui, loin de faire dans le contre-emploi, cumule au contraire toutes ces caractéristiques. Entre asociaux bougons et pourritures pathétiques, serait-on condamné à voir Berléand ne faire que du Berléand, au risque de se lasser du bonhomme ? Ce serait sans doute à craindre si l'acteur était mauvais et si Edy était une nouvelle comédie sans imagination ni talent. Ce n'est pas le cas.

Pour son premier long-métrage, Stephan Guérin-Tillié fait preuve d'une maîtrise étonnante. Dès les premières images, et un générique très réussi, on sent que le jeune réalisateur a réfléchi son propos, donnant immédiatement le ton : celui d'un polar sombre, silencieux, ambigu. Le scénario efficace nous entraîne dans une série de malentendus et d'évènements qui, inéluctablement, nous entraîne progressivement vers le fond. Devant ces images, on pense à Melville pour l'ambiance (et notamment au Samouraï), à Audiard pour les dialogues, aux frères Coen pour l'humour noir et cruel, mais sans jamais que ces références ne viennent troubler l'attention. Plus que de l'imitation, il s'agit là d'une parenté : sans aucun doute bercé par ce cinéma, Stephan Guérin-Tillié se sert de sa culture cinématographique pour créer un univers esthétique qui lui est propre. La cohérence de l'ensemble est époustouflante, tant chaque élément du film est le fruit d'une profonde réflexion. Mise en scène sobre, sens du cadre évident, photographie léchée, direction d'acteurs minutieuse, dialogues qui font mouche, musique envoûtante (mélange de trompette lancinante et d'électro), rien ne semble avoir été laissé au hasard. Pendant négatif de cette maîtrise esthétique – presque graphique –, elle peut avoir tendance à paralyser l'émotion.

Dans cet univers cadré, François Berléand compose un personnage dépressif, ambigu et mutique d'une grande subtilité, à la fois pathétique et dérangeant. Philippe Noiret, quant à lui, campe un père spirituel très vieille école. Escroc de l'ancienne génération, il transmet son amour et son savoir à coups d'argot et de phrases drôles et définitives (« Faut être con ou chanteur de variété pour changer une ampoule avec les pieds dans l'eau »). À une échelle plus symbolique, il apparait comme le vestige d'un cinéma oublié qui passerait le relais à la jeune génération, un peu comme s'il lui donnait sa bénédiction. Au vu du résultat, on ne peut que lui donner raison.

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