Critique : Alice

Johan Beyney | 27 septembre 2005
Johan Beyney | 27 septembre 2005

Un petit bijou que ce film portugais. Un bijou poli, taillé, beau et froid.

À travers l'histoire d'un père qui cherche à retrouver son enfant disparu, Marco Martins filme avec distance et sobriété ce qu'il est convenu d'appeler le travail de deuil. Alice n'est plus là depuis six mois. Peut-être morte, peut-être pas. Entre le moment de la disparition et celui des retrouvailles – macabres ou pas -, ne reste qu'un long tunnel d'incertitude dans lequel ce père est condamné à errer en attendant d'en trouver la sortie. Et pour tromper l'attente, il faut chercher. Refaire tous les jours ce que l'on a fait le jour de la disparition. Distribuer des tracts à une foule anonyme ou à des voitures fermées. Disposer des caméras sur tous les balcons de Lisbonne dans l'espoir que le petit manteau bleu d'Alice repassera par là. Quelle que soit l'issue, on comprend que l'arrêt des recherches ne signifierait ni plus ni moins que la mort d'Alice, ou en tout cas l'acceptation de cette possibilité. Nuno Lopes campe avec détermination ce père obsessionnel, qui s'est arrêté de vivre pour que survive son enfant. Plongé dans un univers bleu-gris glacé, bien loin de l'image de la ville blanche que Lisbonne évoque, ce personnage évolue sous l'œil d'un cinéaste qui maîtrise chacune de ses images, de ses changements de focale, manifestement plus à l'aise avec les images qu'avec les mots.

Mais Alice est également un film sur la ville, cette entité qui fourmille d'humains et, paradoxalement, leur ôte leur humanité pour n'en faire qu'une foule anonyme animée par la routine métro boulot dodo. Difficile d'exister si l'on ne se plie pas à ses codes et, si l'on décide de s'y soustraire (ou que l'on en disparaît), la ville continue à tourner malgré tout.

Sans voyeurisme et avec une maîtrise esthétique et une maturité étonnante, Marco Martins veut continuer, avec la force du désespoir, à faire vivre les disparus. Bien que trop d'esthétique tue parfois l'émotion, Martins offre à voir un film beau, troublant et intelligent sur un sujet sombre en y posant (à l'instar du Sous le sable de François Ozon) un vrai regard de cinéaste.

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