Critique : Keane

Erwan Desbois | 8 septembre 2005
Erwan Desbois | 8 septembre 2005

Keane fut l'une des rares raisons de s'enthousiasmer au cours de la dernière Quinzaine des Réalisateurs, dont la sélection avait une forte tendance à tomber dans les travers du cinéma d'auteur dès qu'elle quittait les genres codifiés comme la comédie (Travaux…) ou le film d'horreur (Wolf creek, qui sortira prochainement chez nous). Le trop rare Lodge Kerrigan (Keane n'est que son troisième film en dix ans après Clean, shaven en 1994 et Claire Dolan en 1998) évite ces embûches avec talent pour aboutir à une œuvre poignante, exceptionnelle étude de personnage qui tire sa force de son épure et de l'empathie que le réalisateur a envers son héros.

Une empathie qui est également à mettre au crédit de Damian Lewis, l'acteur qui incarne le rôle-titre du film, William Keane, citoyen lambda dont l'existence s'effondre lorsqu'un moment d'inattention de sa part suffit à ce que sa fille de six ans se fasse kidnapper. Le principe de réalisation de Kerrigan est des plus limpides : ne pas lâcher d'une semelle ce personnage, et au contraire le filmer au plus près de ses mouvements afin de nous faire ressentir toute la complexité de ses émotions, entre deuil incertain, désir de vengeance et besoin de se reconstruire. De manière significative, ce sont ces sentiments propres à Keane qui différencient les trois parties du scénario, dans un film qui réussit le tour de force de traduire à l'écran les tourments les plus intimes d'un homme par la seule force de la mise en scène, et sans user d'aucun autre artifice (tels que voix-off ou récit métaphorique).

Kerrigan et Lewis parviennent en effet à nous rendre Keane tour à tour pitoyable (au cours de ses errances dans la gare routière où s'est produit l'enlèvement, avec le vain espoir d'attraper lui-même le coupable), attendrissant (au sein de la cellule familiale recomposée et encore vacillante qu'il forme avec une mère célibataire et sa fille Kira), puis enfin franchement menaçant lorsque son obsession de comprendre reprend le dessus et le pousse à jouer son va-tout, au risque de tout perdre une seconde fois. S'ensuit une séquence au suspense anxiogène et à la durée insoutenable, qui met en scène Keane et Kira (interprétée par la jeune Abigail Breslin, déjà vue dans Signes, et ici irréprochable au même titre que les autres acteurs) et qui représente le point d'orgue du récit tant les sentiments de compassion et de terreur que l'on ressent envers Keane y sont mêlés dans une éprouvante confusion.

De ce final, on ressort pantois et aussi démuni face à la fatalité que ce personnage que l'on aura appris à connaître et à comprendre jusqu'au plus profond de lui-même. C'est dans cette identification que Keane tire ce qui en fait bien plus qu'un brillant exercice de style, car ce long-métrage nous conduit au bord du précipice, et nous donne un aperçu de l'ampleur du vide déchirant que crée la disparition soudaine et surtout arbitraire d'un être cher.

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