Critique : Broken flowers

Erwan Desbois | 23 août 2005
Erwan Desbois | 23 août 2005

Le Bill Murray deuxième période, qui accole l'adjectif « triste » au terme « clown » qui définissait son début de carrière, est décidément une magnifique source d'inspiration pour les réalisateurs américains ; après avoir apporté sa contribution au joyau de Sofia Coppola Lost in translation, l'acteur est en effet la tête d'affiche du nouvel opus de Jim Jarmusch – qui est aussi son meilleur.

En faisant appel à lui pour succéder à Roberto Benigni, Johnny Depp ou encore Forrest Whitaker, Jarmusch a trouvé en Bill Murray l'incarnation parfaite de son ton doux-amer et de ses récits qui avec le temps se font de plus en plus apaisés et zen, Ghost dog, la voie du samouraï en étant la dernière preuve en date. Dans Broken flowers, Murray passe de la seule Scarlett Johansson comme partenaire féminine à tout un casting, prestigieux qui plus est puisqu'il va de Sharon Stone à Jessica Lange en passant par Frances Conroy (Six feet under) et Tilda Swinton. Toutes ces grandes actrices interprètent d'anciens amours du personnage principal, Don Johnston, qui décide de renouer contact avec chacune d'entre elles afin de découvrir qui a bien pu lui envoyer cette lettre anonyme lui annonçant l'existence d'un fils qu'il aurait eu vingt ans plus tôt.

Démarre alors pour Don un périple rocambolesque à la recherche d'hypothétiques indices pouvant se recouper avec les maigres pistes dont il dispose – le papier (rose) et l'encre (rouge) employés, l'utilisation d'une machine à écrire pour rédiger la lettre. Des petits riens tellement banals et qui ouvrent sur tant de possibilités (au moins deux des quatre femmes sont des « postulantes » très crédibles) que l'intrigue se dilue dès lors très vite derrière ce qui intéresse réellement Jarmusch : les retrouvailles forcément étranges entre Don et ses conquêtes passées. Le réalisateur fait ainsi sienne la maxime selon laquelle lorsque l'on cherche à atteindre un but, le voyage en lui-même représente la moitié du plaisir (voire en ce sens la place importante donnée aux trajets de Don en voiture ou en avion), et transforme de ce fait Broken flowers en succession de courtes mais réjouissantes séquences.

Aucune des retrouvailles ne dure en effet plus d'une dizaine de minutes, mais les situations et dialogues concoctés par Jarmusch associés au talent des acteurs et actrices en font des scènes superbes et complexes qui charrient des sentiments variés, qu'il s'agisse de complicité toujours vivace, de gêne, de haine rentrée ou bien explosive. Ces performances brillantes sont toutefois plus que de simples sketches juxtaposés comme l'étaient ceux de Coffee and cigarettes, grâce à une ligne directrice forte qui les relie toutes : le caractère inéluctablement révolu des histoires entre Don et chacune des femmes, signe du temps qui passe et qui dévoile la futilité de nos existences.

Si cette leçon apprise par Don au bout de son voyage (le passé est derrière nous, seul compte le présent) est pour le moins désespérante lorsqu'elle s'applique à un cinquantenaire sans attaches, Jarmusch réalise l'exploit de la présenter au spectateur avec un humour distancié qui rend Broken flowers tendrement mélancolique. Naviguant entre références astucieuses (le nom du héros évoque aussi bien Don Johnson – sans ‘t' – que Don Juan ; la sulfureuse fille du personnage de Sharon Stone s'appelle Lolita et permet au metteur en scène de réaliser en cinq minutes son adaptation du roman de Nabokov) et décrochages comiques impromptus (les métiers des quatre ex-amantes de Don, tous plus rocambolesques les uns que les autres, ou encore l'opposition à la limite de la caricature entre Don et son voisin Winston qui lui apporte son aide dans sa quête), le film ne sombre à aucun moment dans la déprime et prend les choses avec une philosophie qui se transmet inévitablement au spectateur.

En plus de cette trame principale et de ses trésors d'humanité, Broken flowers possède de multiples degrés de lecture : avec son magnifique casting féminin – auquel il faut ajouter Chloë Sevigny et Alexis Dziena – et donc de la place prépondérante donnée aux femmes dans la progression du récit, il peut par exemple être vu comme la plus belle des déclarations d'amour qui leur est faite par cinéma interposé. C'est là tout le génie de ce film et de son réalisateur que d'avoir su transcender le banal thème de la « middle-life crisis » que semblait annoncer le sujet pour aboutir à un résultat qui parle d'une manière unique à chacun d'entre nous, et que l'on garde en soi si longtemps après la projection.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire