Critique : Eros

Erwan Desbois | 1 juillet 2005
Erwan Desbois | 1 juillet 2005

Le film à sketches est un genre de cinéma à part entière, qui peut s'incarner dans le romantisme (L'amour à vingt ans) aussi bien que dans le fantastique (La quatrième dimension) et qui porte dans sa définition même son principal défaut : le caractère forcément inégal, voire bancal, des différentes saynètes qui composent le long-métrage. Eros, triptyque sur le désir et l'érotisme réalisé par trois metteurs en scène dont l'on reconnaît sans problème la patte (imprévisible pour l'italien Antonioni, cérébral pour l'américain Soderbergh et lyrique pour le chinois Wong Kar-Wai), n'échappe pas à cette « malédiction » du film à sketches, malgré le talent reconnu de ses réalisateurs.

Le périlleux enchaînement des choses, l'épisode qui ouvre le film, est celui de l'homme à l'origine du projet – le vénéré vétéran Michelangelo Antonioni. Le scénario colle bout à bout trois histoires précédemment imaginées par le réalisateur : un couple approchant la quarantaine découvre que son amour se fane peu à peu ; le mari s'en va et rencontre une belle et charnelle jeune femme avec laquelle il fait l'amour ; celle-ci et la femme abandonnée, amoureuses du même homme, se rencontrent par hasard sur une plage. Le format court et les développements elliptiques qu'il encourage convient parfaitement au style d'Antonioni, où la beauté des paysages gorgés de soleil et la sensualité des corps importent plus que le canevas scénaristique. L'histoire très mince et peu originale du Périlleux enchaînement des choses est ainsi transformée en un conte envoûtant, dont le charme culmine au cours de la magnifique séquence finale, que le réalisateur italien a faite complètement muette afin de laisser parler les corps plutôt que les esprits du désir charnel.

Soit tout l'opposé d'un deuxième segment extrêmement bavard. Équilibre, écrit, photographié et mis en scène par Steven Soderbergh, nous transporte dans l'Amérique des années 50, celle du progrès technologique, des débuts de la psychanalyse et du puritanisme absolu. Trois sujets mélangés avec brio dans ce huis-clos mettant aux prises un psychiatre atypique avec un patient coincé qui fait chaque nuit le même rêve érotique concernant une pulpeuse jeune femme. Si ces séquences oniriques sont très réussies, le reste tourne à vide. Trop conscient de sa virtuosité narrative et formelle, Soderbergh oublie de traiter son sujet et n'accouche que d'une belle coquille vide – les allergiques à sa marotte consistant à employer plusieurs formats de tournage et autres filtres de couleur pour exprimer les différents degrés de réalité pourront d'ailleurs profiter d'Équilibre pour aller boire un café. Toutefois, on peut aussi remarquer de manière amusée que son sketch démontre malgré lui le rapport ambigu des américains au sexe, beaucoup moins décomplexé que celui des européens ou des asiatiques.

Le dernier court-métrage, La main, est en effet d'une puissance lyrique et érotique folle. Mis en boîte par Wong Kar-Wai pendant le tournage de 2046, La main diffère autant de ce dernier qu'une nouvelle d'un roman-fleuve. À partir d'une histoire très simple (un apprenti couturier tombe amoureux d'une de ses clientes, une « dame de compagnie » haut de gamme) et surtout linéaire, Wong Kar-Wai réalise une ode poignante et sublime à l'amour fou et au désir incontrôlable. Bien que sans surprise (sur la forme, il s'agit du frère jumeau de In the mood for love et de 2046), La main est une réussite indéniable, où la sensualité habituelle du réalisateur se mélange à une sexualité de plus en plus présente et crue – une évolution déjà remarquée dans 2046.

Les remarques faites sur l'épisode de Wong Kar-Wai sont également valables pour les deux autres : s'il est globalement réussi et plaisant à suivre, le projet Eros déçoit quelque peu par la frilosité de ses réalisateurs, qui se sont tous trois reposés sur leurs acquis sans chercher à se mettre en danger sur un sujet qui pourtant l'encourageait.

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