Critique : Land of the dead - Le Territoire des morts

Laurent Pécha | 15 juillet 2005
Laurent Pécha | 15 juillet 2005

Enfin ! Après avoir patienté 20 ans (VINGT ANS !!!), George A. Romero donne une suite à sa cultissime trilogie des Dead. Dire qu'on attendait Land of the dead avec une excitation presque démesurée est une évidence tant le cinéaste avait su par le passé, en trois films chocs, redimensionner notre vision du cinéma. Car, après avoir vu La nuit des morts-vivants puis Zombie et enfin (à un degré un peu moindre) Le jour des morts-vivants, on ne regarde plus le cinéma tout à fait de la même façon. C'est ce que l'on appelle presque trivialement des dates clés de la cinéphilie de genre. Alors forcément, dans notre candide ferveur de fan de la première heure, on se disait que le père Romero serait bien capable de nous asséner un quatrième coup de massue dans la tronche.

Seulement voilà, en vingt ans, le cinéma a sacrément évolué et le réalisateur de Pittsburgh n'a pas suivi la cadence. Exception faite de son génial Incidents de parcours, il était même aux abonnés absents comme le prouve sa dernière réalisation en date, le très mauvais Bruiser. Et dans le même temps, de jeunes loups, éduqués et sensibilisés au cinéma d'horreur par la trilogie du maître justement, sont passés à l'action. À commencer par Zack Snyder qui, l'an dernier, nous offrait rien moins que le remake réussi de Zombie avec L'armée des morts. L'inquiétude était donc tout de même de mise : Romero pouvait-il innover dans un domaine et un genre qui s'est créé un style et un code artistique inspiré de ses films antérieurs ? Pire, le réalisateur de Martin n'allait-il pas tout simplement se contenter de surfer sur la vague esthétique et narrative engendrée par le succès de ces « zombies like » que sont les Resident Evil, 28 jours plus tard et donc L'armée des morts ? Bref, Romero pouvait-il encore faire du vrai et bon Romero ?

La réponse est oui… mais seulement par intermittences. Et c'est bien là que le bât blesse puisque Land of the dead est sans doute l'un des films les plus décevants de l'année, voire de la décennie. Certes, ce quatrième opus consacré à nos zombies préférés tient plutôt très bien la route et mérite amplement le déplacement estival (surtout au regard de la concurrence) mais en tant que suite des monuments que l'on sait, il fait bien pâle figure.

Pourtant, l'entrée en matière s'avère réjouissante. Après une rapide explication de la situation « sociale » du pays (les morts reviennent sur terre et patati patata…), Romero rattrape le temps perdu, s'offre un plan séquence élégant nous faisant découvrir ses amis décomposés qu'il affectionne (une galerie de gueules zombiesques comme on n'en avait pas vu depuis… Le jour des morts-vivants) et embraye d'emblée sur les choses sérieuses, à savoir le jeu de massacre orchestré par les humains sur des zombies visiblement plutôt inoffensifs. Revenant à une approche visuelle loin des codes actuels (on retrouve avec un plaisir énorme ses zombies marchant presque au ralenti et d'un pas mal assuré), Romero continue l'évolution thématique de son cinéma à connotation sociale en dépeignant désormais explicitement les humains comme les agresseurs. À tel point qu'associé à un descriptif peu attrayant des « héros » en présence (un « leading man » loin d'être charismatique, une héroïne avant tout potiche – et de deux pour Asia Argento après xXx, un John Leguizamo tête à claque – pardon pour l'euphémisme), on a vite fait de prendre partie pour ces zombies qui ne demandent finalement qu'à trouver un havre de paix (un sentiment que confirmera fort logiquement les derniers instants, très réussis, du récit).

D'autant plus que, et c'est la grande idée du film, petit à petit, ces monstres sans âme vont acquérir (ou retrouver) une certaine forme d'intelligence leur permettant de reprendre le dessus. S'engage alors une sorte de révolution sociale où les vrais laissés pour compte, les morts-vivants, vont unir leurs forces et leurs embryons de discernement pour imposer leur loi et faire exploser un reste de société humaine construite sur l'inégalité des richesses (les riches vivent dans une tour sophistiquée coupée du monde et les autres survivent dans des taudis, parqués par une armée payée par le plus riche des riches). Et pour mener cette révolte des opprimés, Romero revient à ses bonnes dispositions des années 60-70 en optant pour un colosse noir, subtilement décrit comme un ancien pompiste, représentation iconique par excellence du no man's land dans le cinéma US. Malgré les années, le cinéaste continue donc son cinéma engagé et rapelle aux petits djeun's que cinéma de genre s'articule aussi et surtout avec cinéma politique et ne doit pas donner uniquement une œuvre pop-corn.

Seulement voilà, aussi bien écrit et rondement mené que peut l'être le premier tiers du métrage (on admire avec quelle subtilité Romero parvient à nous faire croire à l'humanisation de ses zombies, une situation pourtant incroyablement casse gueule sur le papier), Land of the dead s'éteint peu à peu. Jamais assez, fort heureusement, pour que l'intérêt s'évapore totalement (on est quand même dans un film de zombies réalisé par Romero !) mais suffisamment pour qu'un goût d'inachevé devienne trop vite lancinant. Axant trop l'intrigue sur les humains, faisant de l'affrontement de Riley (Simon Baker) et Cholo (John Leguizamo) un des moteurs du récit, le réalisateur délaisse maladroitement ses chéris. Ayant pourtant brillamment délimité que l'action et la satire sociale passaient obligatoirement par les mouvements et agissements des zombies, on a du mal à comprendre la place débordante laissée à la race humaine seule (les répliques potaches de Dennis Hopper en méchant de service cynique ont beau fonctionner, elles ne valent jamais la bonne gueule de Big Daddy hurlant sa frustration et sa rage). D'autant plus que les limites d'un budget pourtant incroyablement bien utilisé (le film a coûté 17 millions de dollars et paraît facilement en avoir coûté le double, voire le triple), ont visiblement obligé Romero à n'offrir que des séquences d'action peu passionnantes, au suspense guère exaltant, à l'image de la séquence de l'abaissement du pont.

Fort heureusement, si Romero s'égare en compagnie de ses acteurs humains, il retrouve tout son imaginaire en compagnie de ses morts. Et c'est fort logiquement que la meilleure séquence de Land of the dead ne met en vedette que des zombies. On n'oubliera ainsi pas de sitôt ce plan des morts-vivants éclairés par la pleine lune face au fleuve qui les séparent de la terre promise ou encore ces mêmes zombies sortant la tête de l'eau après avoir traversé leur Rubicon (des plans iconiquement sublimes qui explosent tous ceux vus dans des films mettant en vedette des morts-vivants depuis vingt ans).

Mais comme un triste signe des temps, c'est lorsque l'on pense qu'il est dans son domaine de prédilection que Romero nous assène l'un de ses pires coups bas. L'homme qui a rendu célèbre le gore au cinéma avec son génial acolyte Tom Savini (qui fait une apparition en guest star zombiesque désopilante) s'est mis aux CGI. Une sorte d'hérésie dont on a du mal à se défaire tant une explosion d'hémoglobine en images de synthèse n'offre pas la même sensation euphorisante que celle de la bonne vieille poche qui explose. Maudits progrès techniques ! Alors, certes, les séquences gores ont encore de la gueule, d'autant qu'elles sont bien plus gratinées que celles par exemple de L'armée des morts et qu'elles arrivent même à nous surprendre (l'attaque du zombie sans tête) mais le souvenir du Dawn of the dead original et de sa suite est tenace et en l'occurrence insurpassable en chocs visuels.

On en revient donc toujours là : Land of the dead n'échappe presque jamais à sa condition de suite d'Everest cinématographiques du cinéma (d'horreur). Les plus optimistes verront ici une œuvre revigorante et sympathiquement référentielle (les clins d'œil aux films de l'ex-trilogie sont nombreux) marquant le retour en force d'un cinéaste que l'on croyait définitivement perdu. Les plus durs, voire les plus lucides, jugeront que malgré l'évidente sympathie et attachement que l'on peut avoir pour un artiste qui a accompagné leur cinéphilie depuis plus de 30 ans, le temps des splendeurs est révolu et que de cinéaste majeur des années 70, George A. Romero est juste devenu un simple mais digne concurrent aux Zack Snyder et autres Marcus Nispel.

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