Critique : Le Château ambulant

Julien Welter | 7 janvier 2007
Julien Welter | 7 janvier 2007

Hayao Miyazaki n'a rien à prouver à personne. Sacré maître de l'animation depuis Le Voyage de Chihiro et alors même que son oeuvre a été découverte dans le désordre le plus complet, le réalisateur japonais est aujourd'hui l'équivalent d'un Hitchcock de l'animation. Restreint à un genre jouissif et libérateur, il est un technicien hors pair qui fluidifie à l'extrême sa mise en scène, multiplie les cadres et les plans (ce qui est contraire au souci d'économie de l'animation), tout en distillant sa vision du monde. Cette maestria lui a d'ailleurs valu des propositions de servilité de la part de certains dessinateurs de Disney soucieux d'acquérir un peu de son savoir. Mais comme Alfred, Hayao est peu loquace et unique en son genre. On ne s'étonne d'ailleurs pas du tout que les studios Ghibli peinent à trouver sa relève.

 

Mais bien qu'isolé et idolâtré, l'animateur des magies intérieures se découvre encore plus grand qu'il ne l'est en maintenant tout simplement son cap. Là où certains « génies » voudraient se diversifier, lui trouve de nouveaux récits à insérer dans son univers, à l'image ici du Château de Hurle, de Diana Wynne Jones, un roman anglais pour enfant. Modeste et généreux, l'homme livre son conte féerique comme une main tendue. Dès le générique, le château éponyme apparaît dans le brouillard, au-dessus d'une bergère et de ses moutons, de la façon la plus naturelle du monde. Là où d'autres Mickeys auraient fait de cette apparition un miracle, lui dévoile la magie et la rend immédiatement proche. Sans perdre son temps à émerveiller le merveilleux, Miyazaki décrit un univers réaliste où le féerique aurait sa place naturelle. Au milieu des boulangers, des chapeliers, des militaires, avancent des monstres en caoutchouc noir et s'élève une jeune femme au bras d'un sorcier. Cette promiscuité normalisée avec la magie est la grande force de son cinéma et sa signature, puisqu'il décomplexe notre plaisir de sa réalité.

 

 

 
 


Ainsi soulevé comme une plume, débarrassé de notre quotidien par la vision même de celui-ci, on ne peut que s'adonner à la multiplication des réjouissances féeriques. S'éloignant d'un récit au bestiaire multiple, il aborde une histoire malicieuse sur la vieillesse du corps et la jeunesse du coeur. On pourrait discourir longtemps sur le symbolisme de celui-ci, on ne dirait que ce que tout le monde a compris. Elle est grand-mère en apparence, jeune fille intérieurement. Il est un sorcier rock star sans coeur et superficiel qui attend d'être amoureux. En fait, personne n'est réellement ce qu'il est : l'enfant se transforme en vieux sage, le feu peut devenir colérique, la sorcière ou l'épouvantail ont un secret. Tous ce petit monde est évolutif et c'est pour le mieux, nous dit Miyazaki, puisqu'il dépeint les immuables comme des dangers : la sorcière Suliman, immobile et impassible tandis qu'elle déclenche une guerre, et le jeune Hauru prisonnier de son image à en devenir démoniaque.

 

 

Le jeu de l'intérieur et de l'extérieur se répercute alors sur les décors et sur ce château. La jeune Sophie trouve dans l'espace confiné un lieu où se défouler, évoluer et servir à quelque chose en même temps que cette porte magique, comme Jim Morrison l'a rêvé, ouvre des passages vers des mondes et des états différents : prairies, montagnes, ports, villes, guerre. Un intérieur fixe sur des extérieurs mouvants pour que ce château cosy, fait de bric et de broc se révèle un doux piège à maîtriser. Car les extérieurs peuvent se réunir si l'on reste enfermé. La guerre peut contaminer la prairie, le port ou la ville et cela ne sert à rien de fuir. En contrepoint de l'enferment de Sophie et pour mieux décrire sa situation, Miyazaki caractérise d'autres personnages ainsi : la sorcière des landes qui se voit confiné dans un espace trop étroit pour elle (sa voiture), ce qui lui donne un aspect maléfique, et à l'opposé la sorcière Suliman, qui est dans un espace vaste et verdoyant alors même que sa personnalité est glaciale. À ce jeu s'adjoint un autre sur la verticalité. L'envol initial au bras d'Hauru n'est en effet que le prélude d'une série d'élévations fantastiques. Et quand la magie n'opère plus, le souci de s'élever reste. Sophie, en grand-mère ne cesse de grimper les sentiers de la montagne ou les escaliers pour finalement s'élever au-dessus des autres et retrouver par moment l'extase de l'envol, voire de l'amour.

 

 

 
 
Si le dernier film de Hayao Miyazaki a des allures de vacances à Carcassonne perturbées et d'amourette avec un ensorceleur en mobil-home, c'est peut-être parce qu'il touche à la magie intérieure qu'il réussit à magnifier. Récit merveilleux qui mêle pamphlet antimilitariste et fable pour adultes, Le Château ambulant est un film dont les signes sont d'une lisibilité et d'une clarté confondantes. Mais, là où chez n'importe qui d'autre on s'ennuierait à les décoder, ils sont ici une réjouissance. Pourquoi alors en priver les autres ?

 

Résumé

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