Critique : La Chute

Sandy Gillet | 4 janvier 2005
Sandy Gillet | 4 janvier 2005

Pour apprécier ce monument à sa juste valeur, il va falloir ranger paradoxalement pas mal de préjugés et s'ouvrir non pas à une révision de l'histoire mais bien à son acceptation la plus radicale qui soit. La Chute est bien ce film polémique en ce sens qu'il impose sa vision, celle d'une génération qui veut comprendre afin que cela ne se reproduise plus. Mais là où le film d'Olivier Hirschbiegel va encore plus loin et provoquera immanquablement la cassure avec une bonne partie des spectateurs, c'est dans sa façon insidieuse de nous dire que tout cela aurait pu arriver n'importe où, à n'importe quelle époque, et surtout aujourd'hui.


Pas question cependant d'essayer de déculpabiliser un peuple qui se morfond avec cette page sombre de son histoire, juste la volonté de comprendre et de donner un sens à tout cela. Alors le réalisateur de L'Expérience de s'embarquer dans la réalisation d'un script écrit par un producteur chevronné outre-Rhin, Bernd Eichinger (Resident evil : Apocalypse, c'est lui !), qui retrace les derniers jours d'Hitler alors muré dans son bunker berlinois. À la base il y a deux livres, tous deux devenus des best-sellers : Les Derniers Jours d'Hitler, de l'historien réputé Joachim Fest, et Jusqu'à la dernière heure, de Traudl Junge, la secrétaire particulière d'Hitler. C'est donc nanti de ce tapis de référents historiques inattaquables que nos deux compères se sont employés à pénétrer au plus intime de ces derniers jours, provoquant immanquablement chez le spectateur un sentiment de voyeurisme malsain doublé d'une fascination hypnotique quant à la découverte par les images de ce qui jusqu'à présent n'était qu'écrit. Beaucoup diront le contraire et s'offusqueront d'un tel « déballage », d'autant qu'Hitler n'est pas montré uniquement comme le personnage colérique et vociférant des ordres impossibles à appliquer, mais aussi comme un homme qui peut se montrer affectueux et plein d'égards.


Alors, la question est de savoir s'il fallait absolument présenter le boucher ultime du XXe siècle ainsi avec les dangers que cela suppose. Surtout quand l'on sait le mythe avéré qui entoure la figure historique auprès de beaucoup de jeunes, qu'ils soient d'obédience néo-nazi ou non. La réponse est cent fois oui car, comme Olivier Hirschbiegel et Bernd Eichinger le disent si bien dans l'interview qu'ils nous ont accordée, comment faire comprendre autrement au plus grand nombre la fascination réelle qu'engendrait le personnage ? Comment lui faire toucher du doigt une époque pourtant pas si lointaine où un peuple entier était prêt à mourir pour un homme ? Sinon en le décryptant et en allant chercher au plus profond de son être, quitte à ne pas en ressortir indemne. Car en présentant finalement Hitler comme un homme semblable à beaucoup d'autres, en en faisant une figure non pas unique mais ordinaire, les auteurs d'une part nous mettent en garde contre la croyance que cela n'arrivera plus, et d'autre part nous obligent à affronter nos propres interrogations et responsabilités. En d'autres termes, qu'aurions-nous fait si nous avions vécu à cette époque ? Autant dire tout de suite que nul n'a la réponse à cette question, sinon que nous n'aurions pas fait mieux. Difficile à admettre, donc, au point que La Chute ne peut engendrer que dégoût et peur (à l'image d'un Wim Wenders qui ne comprend plus les aspirations de ses propres compatriotes. Cf. article paru dans Libé le 1er décembre 2004 et accessible ici), ou qu'admiration en forme d'espoir.


Car finalement, ce film, qui a pulvérisé les records d'entrées en Allemagne, ne peut que générer un débat par essence salutaire puisque frappé du sceau de la prise de conscience. D'ailleurs, Olivier Hirschbiegel et Bernd Eichinger se gardent bien d'apporter une réponse toute faite, tout simplement parce qu'ils n'en ont pas. C'est dans cet échec à donner finalement un sens, une explication à toute cette barbarie que le film montre ses limites et en devient profondément humain (voir, pour comprendre, le générique de fin). Et c'est en s'écartant ainsi définitivement de la nature même de son « héros » que La Chute acquiert définitivement son statut de film indispensable, généreux et au final terriblement émouvant.

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