Critique : Rois et reine

Sandy Gillet | 20 décembre 2004
Sandy Gillet | 20 décembre 2004

Avec Rois et reine, Arnaud Desplechin signe son retour à l'écriture (en collaboration avec Roger Bohbot, coauteur, entre autres, des scénarios de La Vie rêvée des anges, d'Érick Zonca, et plus récemment du Rôle de sa vie, de François Favrat) avec un film plus dans la lignée de Comment je me suis disputé… (Ma vie sexuelle) que d'Esther Khan ou encore de Léo – En jouant dans la compagnie des hommes, son précédent film présenté à Cannes cette année, sorte d'exploration et de mise en abîme abstraite du monde du théâtre avec celui du septième art.
C'est donc avec un plaisir non dissimulé que l'on retrouve sur notre route de spectateur attentif à la filmographie de Desplechin ses acteurs fétiches, Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric en tête, et un discours certes familier (encore que), mais à la charge émotionnelle intacte grâce à un renouvellement des formes toujours aussi surprenant.

Rois et reine, c'est l'histoire distincte de deux personnes que tout semble opposer, mais qui ont pourtant vécu une histoire d'amour entière et passionnelle. La première différence qui s'opère donc ici avec les précédents films de Desplechin, c'est l'entrée en force du passé en propre (à l'opposé du passé historique de La Sentinelle) et de son lot de souvenirs heureux ou non. D'un point de vue formel, Desplechin emploie un montage alternant le flash back et, chose plus courante chez lui, l'ellipse narrative sauvage. C'est que ses personnages ont vieilli, sa fidèle famille d'acteurs avec, et on sent bien que le cinéma de Desplechin arrive à un tournant, à une sorte de mi-parcours où il est temps de jeter un regard derrière soi. Nulle question ici de nostalgie, mais plus peut-être d'une maturité teintée d'amertume sur des années qui passent trop vite.

La mort aussi en prend pour son grade. Thématique récurrente chez l'auteur français, elle fait partie intégrante ici de chacun des personnages et ne s'accompagne plus uniquement du sentiment d'injustice de perdre un être cher (La Vie des morts), ou n'accompagne pas simplement, tel un fantôme obsédant, une vie en devenir (La Sentinelle). La mort ici n'est plus une anomalie, elle appartient à la vie et est dorénavant acceptée comme telle. Pour autant, Rois et reine n'est pas un film sombre ou cérébral. Disons qu'il est le reflet fidèle des interrogations d'un cinéaste en prise avec son temps et sa génération qu'il régurgite en se recréant un monde en propre et en utilisant la même famille d'acteurs histoire de se rassurer un tout petit peu.

Il n'empêche que, si la problématique propre à l'univers Desplechin s'apparente quelque peu au cheminement de sa propre vie (et en cela il est un réalisateur passionnant à suivre), le cinéaste pousse à chaque fois la forme et les codes un peu plus loin, faisant de Rois et reine un film jubilatoirement schizophrène : d'un côté on a Nora / Emmanuelle Devos qui voit son père mourir d'un cancer presque dans ses bras et semble supporter le poids d'une vie qu'elle aurait voulue insouciante et libre, alors que de l'autre le personnage joué par Amalric (Ismaël) s'affranchit sans cesse des codes de la vie pour en faire une succession d'épisodes burlesques hors du temps. Entre les deux il y le petit Élias, que Nora voudrait qu'Ismaël adopte, ainsi que des seconds rôles étonnants (Catherine Deneuve en psychiatre irréelle) et détonnants (Hippolyte Girardot en avocat désopilant sous acide).

On l'aura compris, il ne s'agit plus ici de savoir, comme dans Comment je me suis disputé…, qui se fait la petite amie de qui, d'envisager une thèse ou d'essayer de se projeter dans la société, mais bien de souligner avec force et persuasion que le temps file, qu'il faut sans cesse s'adapter, panser les plaies de la vie, et cela même si nous n'aurons sans doute jamais de réponses à nos questions existentielles. Vivre ou mourir, vivre et mourir en quelque sorte !

Résumé

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