Critique : Le Secret des poignards volants

Stéphane Argentin | 15 novembre 2004
Stéphane Argentin | 15 novembre 2004

L'amour avant tout
Avant de se lancer dans le wu xia pan en 2002 avec Hero, Zhang Yimou était surtout connu depuis près de quinze ans pour ses drames intimistes qui lui valurent de multiples récompenses dans différents festivals (notamment ceux de Berlin et de Venise). C'est donc tout naturellement qu'il emmène avec lui ses romances, qui l'ont rendu si célèbre, lorsqu'il s'attaque à ce nouveau genre qu'est le wu xia.

Dans Hero, le cœur de l'histoire était en effet le triangle amoureux formé par Tony Leung, Maggie Cheung et Zhang Ziyi qui évoluaient au milieu d'un fastueux palais où l'on y enseigne la calligraphie. Dans Le Secret des poignards volants, l'équation est désormais inversée puisque ce sont Andy Lau et Takeshi Kaneshiro qui s'entredéchirent pour le cœur de la belle Zhang Ziyi, cette fois au milieu d'une végétation luxuriante. Le Secret des poignards volants ne serait-il alors qu'une simple transposition de lieu, doublée d'un changement d'équilibre dans la répartition des sexes ?

Comme tout bon wu xia qui se respecte, Zhang Yimou a de nouveau situé l'action au cœur d'une Chine ravagée par les conflits. Celle des Sept Royaumes, gouvernée par le roi Qin, cède la place à la dynastie Tang, menacée par la puissante armée révolutionnaire de la Maison des poignards volants. Mais, là où beaucoup avaient vu rouge avec Hero ne percevront à aucun moment un quelconque poids politique avec Le Secret des poignards volants, ce postulat de départ ne servant plus que de toile de fond à la véritable intrigue du film : son triangle amoureux.

Les triangles « yimouiens »
Le premier côté du trigone démarre d'ailleurs très fort dans bien des domaines. Au beau milieu d'une maison close aux couleurs éclatantes va avoir lieu la première rencontre, émotionnelle mais aussi et surtout physique. Soit, une fois encore, trois des composés déjà présents dans Hero. À croire que tout fonctionne par trois chez Zhang Yimou ! D'un côté, on (re)trouve tout d'abord cet éventail de couleurs, aussi riche que contrasté au niveau des décors et des costumes, où l'on passera ainsi successivement du rose de la maison de départ au vert de la forêt, puis au jaune d'une prairie, avant de finir dans la blancheur de la neige.

Second côté, inhérent au genre : les combats. Sur ce point, Zhang Yimou cède une fois encore la parole aux chorégraphies de Ching Siu-tung. Dire que ces dernières sont époustouflantes serait un qualificatif bien faible, en regard de la beauté visuelle qui se déroule sous nos yeux dès cette première démonstration dans la maison close. Le mariage réussi entre traditions câblées et nouveautés numériques est élevé ici au rang de véritable œuvre d'art à chaque nouvelle confrontation entre poursuivants et fuyards, avec des angles et des déplacements de caméra (ralentis, accélérés…) d'une lisibilité quasi exemplaire. À condition de laisser la magie opérer et de ne pas être trop récalcitrant à pareilles prouesses !

Enfin, troisième et dernier côté, celui qui referme à la fois les composantes visuelles (direction artistique et chorégraphies) et narratives (l'histoire d'amour), la « Zhang Yimou's touch » : la romance triangulaire. Un sentiment noble par excellence au yeux du cinéaste, qui le conserve dans sa forme la plus simple et pure : l'amour se mérite au fil du temps (le couple Ziyi / Kaneshiro), mais, une fois acquis, sera à jamais inaltérable (le couple Ziyi / Lau), d'où conflit (le « couple » Kaneshiro / Lau). CQFD ! À condition, une fois de plus, de ne pas être allergique à une telle simplicité.

Trop d'amour tue l'amour
À l'arrivée, on pourrait penser que ces deux triangles, imbriqués l'un dans l'autre – les chorégraphies + la direction artistique + l'histoire d'amour pour le premier et la relation entre les trois couples pour le second –, ne forment plus alors qu'un seul delta, plus beau et plus grand que la somme des deux autres réunis. Mais c'est en réalité plus un effet annihilateur que cumulatif qui se produit. En cherchant à tout prix à grandir chaque fois un peu plus les conflits tant physiques que sentimentaux (surtout sentimentaux), Zhang Yimou réduit à néant ses propres efforts. Et ce qui aurait dû être le summum dramaturgique et chorégraphique (effusion de sang et de sanglots au milieu d'un monde à la blanche pureté) n'aboutit finalement qu'à la neutralisation des forces en présence.

De ce point de vue, le cinéaste est fidèle jusqu'au bout à sa logique, puisque aucun des personnages n'en ressortira vainqueur, tout comme dans Hero. Le Secret des poignards volants ne serait-il donc qu'une nouvelle démonstration par l'absurde de la part de Zhang Yimou ? On attendra pour cela la confirmation avec un troisième long métrage du genre, qui complètera peut-être ainsi un nouveau triangle « yimouien ».

Résumé

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