2046 : Critique

Patrick Antona | 19 octobre 2004
Patrick Antona | 19 octobre 2004

Comme bon nombre de cinéphiles, nous attendions beaucoup de 2046, en se demandant à quoi allait ressembler ce film qui aurait dû être la somme de ce que nous aimions dans le cinéma de Wong Kar-waï, alléchés aussi par l'idée de départ annonçant l'œuvre comme une anticipation politique sur le devenir de Hong Kong cinquante ans après la rétrocession. Au vu du résultat, on ne peut que rester dubitatif devant cette étrange impression que le réalisateur a commencé un film puis a embrayé sur un autre, sans offrir la moindre véritable cohérence, ou sans pouvoir le faire avec le talent cinématographique transformiste d'un David Lynch.

Reprenant à la fois la trame et la thématique de In the mood for love, avec son rythme lent, la description de la vie dans l'ex-colonie dans les années soixante, ses déambulations dans les escaliers et couloirs, son cadre confiné et surexposé (superbe photographie de Christopher Doyle), ses scènes contemplatives où une fumée de cigarette ou bien une larme qui coule au coin d‘un œil sont les actions les plus marquantes (une constante chez le cinéaste depuis Nos années sauvages), Wong Kar-waï pioche aussi dans les autres films de son œuvre. Sont ainsi cités, et remis au goût du moment, Happy together pour la notion d'exil, ou encore Chunking express pour la musique pop diffusée en boucle. Mais, malheureusement, tout ceci n‘arrive jamais à donner corps à une histoire qui part un peu dans tous les sens, un peu à l‘image des allers-retours entre le présent d‘écrivain de Tony Leung et le futur fantasmé, où il se voit sous les traits de Takuya Kimura.

 


Ayant réussi à surmonter une maturation difficile (problème de remontage, départ ou éviction de Maggie Cheung pendant le tournage), 2046 s'appuie grandement sur l'improvisation, Wong Kar-waï cherchant avant tout l‘instant fugitif, la bonne sensation à traduire en image. Pour autant, on s‘ennuie ferme pendant de longs moments, et ce malgré la beauté de certaines scènes. Il est à noter un virage chez le cinéaste dans son traitement de l‘amour physique, vers un versant plus charnel et exalté et moins glacé qu‘auparavant (les étreintes très chaudes entre Tony Leung Chi-Wai et Zhang Ziyi en attestent).

 


En fait, c‘est dans le jeu des acteurs que réside la seule véritable qualité de 2046. Passons sur la prestation de Gong Li, qui est plus présente en tant que gravure de mode qu‘en tant que véritable incarnation du désir, et sur celle de Maggi Cheung (dix secondes à l‘écran, une belle arnaque quand même !), pour retenir surtout le jeu subtil et émouvant de Faye Wong en amoureuse romantique et pure, et la non moins remarquable interprétation de Zhang Ziyi en séductrice chippie et rebelle, qui se trouvera prise à son propre jeu de séduction. C'est peut-être elle la révélation du film, à l‘issue de cette confrontation de personnages féminins. Rendons grâce aussi au talent de Tony Leung (qui tend à devenir le Antoine Doinel de Wong Kar-waï), qui, par sa seule présence et sa manière de faire passer l‘émotion et le mot juste, parvient lui aussi à éviter au film de sombrer totalement dans le risible, attendu au vu des scènes futuristes ratées et inutilement alambiquées.

 


Si le film se révèle être au final plus une compilation des thèmes déjà évoqués dans le cinéma de Wong Kar-waï qu'une nouvelle œuvre sincère et totalement originale, et que, peut être, une future édition DVD lèvera le voile sur les ratés et autres défauts du projet, gageons que le cinéaste saura redresser la barre pour son prochain film (pourquoi pas le wu xia pan que Tony Leung et Faye Wong rédigent ensemble au cours de 2046 ?), sans pour cela nous faire attendre quatre ans et nous décevoir aussi grandement.

 

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