Critique : Le Cou de la girafe

Eric Dumas | 23 septembre 2004
Eric Dumas | 23 septembre 2004

Premier long métrage de Safy Nebbou (après quatre courts, pour certains récompensés internationalement), Le Cou de la girafe semble déjà rencontrer un bon accueil critique et public, avec à son actif le trophée du Premier Scénario CNC 2002, le Grand Prix du public, et le prix de la Critique du Cinestival-Marseilles 2004. De fait, qu'en est-il de ce premier essai moult récompensé, susceptible de rencontrer à n'en point douter, dans les salles obscures, un contact évidemment plus large que celui des précédents courts métrages du réalisateur ?
D'une part, le film est aidé par sa distribution prestigieuse (et précieuse, pour une première œuvre !). Cette richesse de casting soutient, bien entendu, un film qui gagne en « popularité » (la construction autour de personnalités connues aidant), mais aussi et surtout en interprétation avec Claude Rich, particulièrement touchant en homme abandonné et meurtri, dont la blessure au cœur est à la fois physique (une cicatrice sur le torse) et sentimentale (avec toute la douleur qu'a entraînée sa détresse amoureuse). Darry Cowl, en clown émouvant de sympathie et de tendresse, rayonne de malice dans une maison de retraite aux allures de mouroir, tandis que la jeune Louisa Pili, fraîche et sincère, semble emmener avec elle et sa toute jeune volonté le déroulement de l'aventure. Sandrine Bonnaire, en mère divorcée et angoissée, est également convaincante, mais souffre peut être un peu plus que les autres comédiens d'une direction un peu trop « mathématique ». En effet, le principal reproche qui peut être émis vis-à-vis de l'œuvre est cet aspect trop statique des personnages dans leurs marques, un manque de spontanéité. Chaque cadre semble enfermer les acteurs. Le résultat manque d'improvisation, ce qui nuit au naturel. On a sans cesse cette sensation que chaque mouvement, chaque regard est prémédité et millimétré avec trop de rigueur, ce qui altère un peu l'immersion du spectateur dans la diégèse, et, plus concrètement, le partage des sentiments. S'il est exagéré de dire que le spectateur aurait pu se détacher et se désintéresser de l'histoire, c'est notamment parce que la performance des acteurs est brillante et qu'elle fait contrepoids à cette petite erreur.

Autre point fort qui permet d'oublier ce petit désagrément : la qualité du scénario. En utilisant des éléments tantôt autobiographiques, tantôt rapportés de son entourage, Safy Nebbou construit un conte inspiré du Petit Chaperon rouge, où le lien entre une mère et sa mère passe par la petite-fille, un long tunnel faisant office de forêt... Ailleurs, c'est la rupture entre le contenu de certaines séquences et leur traitement qui s'avère réussi. Ainsi, on assiste à une délicieuse prise de pouvoir de la maison de retraite (avec une touchante entraide des occupants), contrastant avec la tristesse et la solitude inhérentes aux lieux. Plus loin, l'inattendu est traduit par certains dialogues : le choc créé par un niveau lexical inadéquat, l'utilisation de termes familiers et d'images dans la bouche de certains personnages... C'est avec plaisir que l'on suit la première heure, qui offre un rythme à la fois efficace, enlevé et constructif. Là où le film se perd, c'est dans sa seconde partie. Même si celle-ci n'est pas dénuée d'intérêt (surtout avec sa conclusion extraordinaire et bouleversante), on se détache petit à petit des personnages, peut-être parce que Claude Rich s'efface, lui aussi, un peu.

Cette atténuation sert peut-être à souligner, paradoxalement, et plus ardemment encore, une passation de pouvoirs (à laquelle, malheureusement, le spectateur n'est pas forcément convié). Le film, et c'est là son thème central, parle de transmission. C'est le passage des générations, le transfert des cultures, des connaissances, des passions qui donnent au film tout son sens. Le travail sur la mémoire est à plus d'un titre l'élément moteur de l'œuvre. Tantôt on la perpétue, tantôt on la perd, mais elle est le point autour duquel tous les éléments gravitent. Film sur la filiation, l'envie de donner une passion, le legs des souvenirs, des anecdotes, Le Cou de la girafe porte bien son nom, à l'image de ce à quoi il se réfère : une librairie mêlant livres anciens et récits légendaires, transmis de génération en génération, comme le sont les contes.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.5)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire