Le Croque-Mitaine : critique d'un King cool

Mathieu Jaborska | 30 mai 2023
Mathieu Jaborska | 30 mai 2023

Les adaptations de Stephen King se succèdent à un rythme qui commence à approcher la fréquence de sortie de ses best-sellers. La dernière en date est Le Croque-Mitaine, tirée de la nouvelle du même nom trouvable dans le recueil Danse Macabre et déjà déclinée en court-métrage en 1982. Cette fois-ci, c'est le prometteur Rob Savage qui s'y colle, avec Chris MessinaSophie Thatcher et la très jeune Vivien Lyra Blair, déjà forte d'une grosse carrière hollywoodienne du haut de ses 10 ans.

Hail to the King

Comme d'autres films d'épouvante avant lui, sortis plus ou moins discrètement ces derniers mois, Le Croque-Mitaine a été quelque peu malmené lors de l'acquisition de la Fox par Disney. Annoncé en 2018 dans le sillage du succès de Sans un Bruit, écrit par ses auteurs Scott Beck et Bryan Woods (ils ont réalisé depuis le pas terrible 65) accompagnés par Akela Cooper (Malignant, M3GAN), le projet fut comptabilisé par la presse américaine parmi les victimes de la grande purge qui a accompagné la laborieuse passation de pouvoir. Du moins avant qu'il ne refasse parler de lui avec un nouveau scénariste pour remanier la première version et le petit malin du found footage 2.0, Rob Savage, à la mise en scène.

Aurait-il été conformé aux standards Disney durant ce parcours accidenté ? Toujours est-il que ses choix d'adaptations témoignent d'une absence de prise de risque très hollywoodienne. La nouvelle est l'un des textes les plus lovecraftiens de King, non seulement parce qu'elle ne s'attarde pas trop sur la description de son monstre, mais surtout parce qu'elle est structurée comme un long témoignage oral, confié par un père de famille toxique à un psychanalyste. Le bougre accuse une mystérieuse entité d'avoir décimé sa progéniture.

 

The Boogeyman : photo, David DastmalchianPolka-Dot Man va enfin chez le psy

 

Le Croque-Mitaine version 2023 préfère partir de ce postulat pour ensuite construire son propre récit, bien moins tragique, ce qui lui évite de montrer la mort d'enfants à l'écran et lui garantit un joli petit classement PG-13, soit la norme du divertissement américain. Histoire de rester dans les clous, elle élimine aussi la composante sociale – certes caricaturale, mais qui fait l'originalité de la nouvelle – au profit d'une énième allégorie du processus de deuil.

On suit donc le psychanalyste en question, lequel vient de perdre sa femme, et ses deux filles, dont le quotidien est chamboulé par ce patient pas comme les autres (David Dastmalchian), puis par une mystérieuse entité, le Boogeyman du titre. Et leur cauchemar coche toutes les cases de la production fantastique américaine, dépourvue de la moindre aspérité ou du plus petit dérapage méchant, entièrement à la gloire d'une cellule familiale indivisible et très convenue lorsqu'il s'agit d'aborder frontalement l'horreur, l'antagoniste pâtissant d'un design peu original. Le Croque-Mitaine fait donc preuve d'un certain classicisme. Mais il le fait bien.

 

Le Croque-Mitaine : photo, Sophie ThatcherLe gang des pétrolettes de Tatooine est représenté

 

Un deuil dans la famille

En effet, faute d'audace, Rob Savage et ses scénaristes se concentrent sur l'efficacité du film, souvent avec brio. L'obligatoire thématique du deuil est développée de manière presque schématique par les trois personnages. Chacun réagit différemment : l'un se laisse engloutir, l'une cherche une présence, l'autre a peur. Et ils vont devoir apprendre à communiquer pour s'en sortir. Une symbolique limpide, voire simpliste, mais fournissant un canevas idéal au réalisateur : rien d'étonnant de la part de l'auteur engagé pour réécrire le premier scénario, Mark Heyman, connu pour la métaphore filée hyper bourrin de Black Swan.

Ces enjeux simples offrent à Savage, dont c'est le premier gros projet hollywoodien, l'occasion de prouver son habilité avec une mise en scène plus traditionnelle et un budget conséquent, lui qui s'est fait connaître des amateurs d'horreur avec les found footage fauchés Host et Dashcam. Le Croque-Mitaine est très généreux, enchainant à un rythme étonnant les séquences de trouille, surtout dans les premières quarante minutes, qui laissent rarement le temps de respirer.

 

The Boogeyman : photo, Vivien Lyra BlairUn film de boule

 

Au-delà, la révélation du monstre atténue un peu l'atmosphère pesante et le recours à beaucoup de procédés similaires (la fausse frayeur notamment) donne une légère impression de répétitivité. Toutefois, le cinéaste s'affirme en bon artisan de l'horreur qui, malgré le cahier des charges évident à respecter (on s'inquiète rarement pour les deux héroïnes), provoque quelques jolies frousses et laisse peu de répit au spectateur. Et ce, sans pour autant tomber systématiquement dans les pires travers du genre. Les rares jump-scares, par exemple, sont judicieusement utilisés.

Désormais réserve quasi illimitée d'histoires à adapter, à modifier ou à exploiter pour l'industrie, l'oeuvre de King persiste tout de même à révéler quelques metteurs en scène émergents, aussi lisse soit le résultat. Une petite bulle de frissons coincée entre les ratages récents (Firestarter, Simetierre) et l'imminent Salem, réalisé par l'un des architectes de la saga Annabelle. Profitons-en.

 

Le Croque-Mitaine : Affiche

Résumé

Une adaptation qui évite soigneusement de prendre le moindre risque, mais qui comporte quelques beaux moments de frousse.

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commentaires
Bob
04/09/2023 à 22:18

2023.
Et on continue avec des histoires de monstres qui de terminent avec un combat final.
Voilà. Quelle tristesse.
Quelques bonnes idées de frayeur, mais dans l'ensemble un film vite oublié.

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