Le capitaine Volkonogov s'est échappé - critique qui s'en relève à peine

Mathieu Jaborska | 30 mars 2023
Mathieu Jaborska | 30 mars 2023

Sélectionné à la prestigieuse Mostra de Venise en 2021, il avait surclassé la sélection de l'Étrange Festival 2022, y remportant sans surprise le Prix du public. C'est pourtant timidement que Le capitaine Volkonogov s'est échappé, avec Yuriy Borisov et réalisé par Natalya Merkulova et Alexey Chupov, débarque dans les salles françaises. En Russie, il n'a pas eu cet honneur et il suffit d'un visionnage pour comprendre pourquoi.

paranoïa Agent

Très récemment, le film britannico-franco-belge La Mort de Staline s'était déjà emparé de la paranoïa aiguë qui caractérisait le régime du dictateur, au point, ironiquement, d'entraîner sa mort. Le capitaine Volkonogov s'est échappé s'intéresse à l'une de ses manifestations les plus atroces : la grande terreur. Au cours de cette période, des centaines de milliers de personnes ont été arrêtées et parfois exécutées sur la foi d'accusations arbitraires... et ce, y compris dans les rangs staliniens ! C'est à cette "purge" que le capitaine en question parvient à échapper in extremis. Trahi par son propre commandement, il se met en tête d'arracher un pardon aux proches de ses victimes passées.

Bien entendu, Natalya Merkulova et Alexey Chupov, cinéastes et scénaristes exilés depuis l'invasion russe de l'Ukraine, ne cherchent pas à absoudre le fugitif de ses péchés. Il est bien question d'une rédemption impossible, d'une quête absurde et morbide au coeur d'un état totalitaire qui s'auto-cannibalise pour mieux contraindre.

 

Le capitaine Volkonogov s'est échappé : photo, Yuriy BorisovCourse à la mort

 

Expurgée de son sens par un bourreau monstrueux de cynisme, la mort plane sur les deux heures de film, n'épargnant ni notre anti-héros, qui grappille un maigre répit pour sa nouvelle lubie, ni son poursuivant, cerné à la fois par sa hiérarchie et par une maladie nécrosant progressivement son corps, ni bien sûr les civils. La mort est l'élément perturbateur, le motif, le but, le contexte, quitte à ce que le récit flirte avec le cauchemar fantastique. Le couple de scénaristes préfère l'élaboration d'un univers régi par des cadavres ambulants aux contraintes de la reconstitution historique. Et par la même, il coince ses personnages dans les rouages d'une machine absolument déshumanisante.

Les quelques dialogues qui émaillent la fuite de Volkonogov façonnent à leur tour une dimension politique parallèle, où l'empathie est diluée dans la vodka, où les citoyens se recroquevillent dans leurs masures ou au fond de caves, jusqu'à la catatonie. La purge est traitée comme l'ultime symptôme sardonique (humour très noir à l'appui) de l'autoritarisme paranoïaque stalinien. Un état de perpétuelle agonie qu'il aurait été difficile de mettre en scène sans le protagoniste éponyme, qui tente bien malgré lui de se soustraire – en vain – au système.

 

Le capitaine Volkonogov s'est échappé : photoRed army : the musical

 

Délit de fuite

Les cinéastes peuvent compter pour ça sur la performance impressionnante de Yuriy Borisov, comédien en train de conquérir, les uns après les autres, les festivals internationaux, puisqu'il a déjà été remarqué dans Compartiment N°6 et dans le monumental La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov. Sorte de Pitbull musculeux à la botte d'un pouvoir qu'il n'essaie pas de comprendre, il semble se décomposer au contact du pays qu'il a contribué à martyriser. Pourtant, il avance vaguement à contre-courant, essayant tant bien que mal de retrouver un sens moral dont on l'a délesté bien auparavant.

Sa fuite désespérée est donc moins une héroïque poursuite de rédemption qu'une recherche inconsciente de la part réprimée en lui. D'abord motivé par la terreur égoïste de l'enfer, il finit, faute de mieux, par échapper à la menace de l'autorité et faire preuve d'un début de sincérité. Difficile d'écrire un pareil cheminement, de raconter la prise de conscience lente et douloureuse d'un ex-tortionnaire désormais conscient qu'il peut être un individu, sans pour autant passer l'éponge sur ses actes, ni vraiment lui accorder ce pardon qu'il poursuit. Il aura fallu à Merkulova et Chupov (dont ce n'est que le troisième long-métrage en tant que réalisateurs) 27 versions du scénario pour y parvenir, et ça se voit.

 

Le capitaine Volkonogov s'est échappé : photo, Yuriy BorisovL'impossible introspection

 

C'est ensuite à leur mise en scène de ne pas l'iconiser, laissant les décors déprimants l'avaler alors qu'il se perd dans un Leningrad empoisonné. La caméra ne lui accordera qu'un seul instant de grâce, des plus cruels. Le dernier acte enfonce le clou en se décalant sur ce fameux décor, jusqu'à un dernier plan en forme de faux happy-end dévastateur, qui reste en tête longtemps après la séance. Car le climat instauré par Staline a perduré bien longtemps après 1938 et cette description d'un système meurtrier qui tourne à vide fait toujours froid dans le dos. 

Il faut donc prendre son courage à deux mains pour découvrir Le capitaine Volkonogov s'est échappé, plus flippant que la plupart des films d'horreur qui envahiront les multiplexes cette année. Mais le jeu en vaut la chandelle.

 

Le capitaine Volkonogov s'est échappé : Affiche française

Résumé

En racontant une quête de pardon impossible, Natalya Merkulova et Alexey Chupov nous écrasent entre les rouages de la déshumanisation totalitaire. Un vrai film de terreur.

Autre avis Alexandre Janowiak
Puissante fresque sur le système soviétique, Le capitaine Volkonogov s'est échappé jongle habilement entre une noirceur épouvantable, un humour grinçant et une dose de poésie bienvenue.
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Lecteurs

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commentaires
JRVKB
09/04/2023 à 18:49

Tràs bon film. Il me rappelle un livre également saisissant sur le terreur stalinienne :"l'évangile du boureau"

Jozik
02/04/2023 à 16:22

Ce serait une erreur de croire qu’il s’agit là d’un film « réaliste » qui montre une vérité historique soviétique. Jamais aucune brigade n’a porté de tels uniformes rouge en Union soviétique, ni ailleurs. Ces costumes à la « Squid game » montrent qu’on a ici une vision symbolique du totalitarisme, où qu’il existe et à quelque période que ce soit : Allemagne nazie, URSS, Khmers rouges, Chine maoïste… Et la quête mystique d’un improbable pardon dépasse les frontières de la religion. De quoi est fait un être « humain » ? C’est l’éternelle question posée par la littérature classique et le grand cinéma russes.

Testr
02/04/2023 à 01:46

Votre critique m’a donné envie, je suis aller le voir et j’ai vraiment bien aimé. Certaines scenes sont vraiment dures à regarder, je pense notamment à un « entrainement » d’execution

Nico1
31/03/2023 à 18:44

Vous avez sacrément piqué ma curiosité!

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