The Lost King : critique d'un Stephen Frears impérial
En 2012, une férue d'histoire, Philippa Langley, retrouvait le corps disparu de Richard III, un ancien roi d'Angleterre essentiellement connu pour la tragédie que Shakespeare lui a consacrée. Dans The Lost King, le réalisateur Stephen Frears à qui l'on doit My Beautiful Laundrette, Les Liaisons dangereuses ou encore The Queen, raconte l'histoire improbable de Philippa, incarnée par Sally Hawkins, et de son obsession pour le roi maudit.
CACHE-CACHE royal
“Mon royaume pour un cheval”, faisait déclarer Shakespeare à un Richard III bientôt tué au combat dans la pièce éponyme de 1597. Depuis le fabuleux texte du dramaturge dépeignant le roi déchu comme un monstre sanguinaire, c’est ainsi qu’il est resté dans l’esprit du grand public. En 2012, plus de 400 ans après la pièce et plus de 500 ans après le règne du soi-disant tyran, le corps de Richard III était retrouvé en Angleterre, sous les couches de goudron d’un parking de province. Son exhumation est due à Philippa Langley, une femme qui attribue sa découverte à son intuition et à son amour d’un personnage qu’elle estime bafoué.
Une figure aussi imposante que celle de Richard III, entre son statut dans l’Histoire de l’Angleterre et le monument de littérature que représente la pièce de Shakespeare, est forcément compliquée à aborder par la fiction. La dernière tentative faite sur grand écran à ce jour était le mockumentaire d’Al Pacino sorti en 1996 et appelé Looking for Richard, dans lequel il filmait les fausses coulisses d’une mise en scène de la pièce par lui-même et dans laquelle il incarnait le rôle-titre. Véritable bijou de cinéma, le film mêlait entretiens avec de grands théoriciens du théâtre comme Peter Brook, sessions de recherches et séquences jouées en costume.
Ce patchwork de mise en abyme parvenait à rendre l’essence de la pièce bien mieux que du théâtre filmé, et Al Pacino y laissait s’exprimer toute son obsession pour le personnage ô combien fascinant et terrifiant de Richard III. Avec The Lost King, Frears propose une démarche très semblable à celle d’Al Pacino par certains aspects (la reconstitution parcellaire d’un personnage à travers différentes sources) et fondamentalement différente par d’autres. Son but est – et c’est exceptionnel dans le cinéma de fiction – d’étudier le personnage en opposition à ce qu’en a fait Shakespeare et sa réputation construite par la dynastie des Tudor.
En choisissant Philippa pour héroïne contemporaine, dont le projet d’exhumation s’appelait d’ailleurs aussi "Looking for Richard" (“A la recherche de Richard” en français), Frears et les scénaristes Jeff Pope et Steve Coogan choisissent le point de vue d’une personne ancrée dans la réalité, qui se sent davantage touchée par ce qu’aura pu être le véritable roi plutôt que son avatar légendaire de fiction. Aucune ambition artistique dans le projet de l’héroïne, mais la simple nécessité de rendre son humanité à un mythe dans lequel elle se reconnaît et qui donne un sens à sa vie. On est loin du grand cabotinage d’Al Pacino et du texte de Shakespeare, mais tout aussi proche du feu de la passion.
Sally Hawkins et Steve Coogan : un couple banc-al
Queen Philippa
Pourtant, si le personnage (romancé) de Philippa est vent debout pour détruire l’image popularisée par Shakespeare, le film en lui-même rend un hommage vibrant au pouvoir de l’auteur et du théâtre. En effet, Philippa n’est pas, au départ, connaisseuse de l’histoire du roi déchu, mais c’est lors d’une représentation théâtrale de la tragédie shakespearienne qu’elle sera troublée au point de déclencher ce qui sera le combat et la passion de sa vie. Dans cette représentation, Richard III est incarné par un jeune comédien charismatique (Harry Lloyd), dont les traits continueront d’accompagner Philippa comme charmant spectre de Richard III.
La projection qu’elle s’en fait passe donc bien par le théâtre, malgré tout, et par sa propre subjectivité, ses propres envies. Parce que le théâtre et, par extension l’art, servent de médiation entre les faits et la manière dont ils nous touchent. Alors même si l’on veut donner tort à Shakespeare en dénonçant la manière dont sa pièce a potentiellement transformé l’histoire, Frears continue d’admettre à travers ce film sa légitimité en tant qu’œuvre de par la manière dont la pièce aura tendu à Philippa le miroir dont elle avait besoin pour commencer à réellement se voir.
Philippa, interprétée par la brillante Sally Hawkins, se sent mise au banc de sa propre vie par ses fatigues chroniques, le manque de reconnaissance dans son travail et sa difficulté à se faire entendre en tant que femme de plus de quarante ans sans légitimité d’historienne. Dans sa quête de réhabilitation de Richard III, c’est elle-même qu’elle cherche à faire reconnaître, au-delà de son statut de mère et de compagne, et son parcours ne peut qu’émouvoir.
Richard croit
Rien ne semble relier la figure historique lointaine d’un roi d’Angleterre devenu légende et une madame Tout-le-monde du XXIe siècle qui s’ennuie dans son train-train quotidien. Mais The Lost King tisse délicatement un lien irréductible entre eux, à travers le charme de sa mise en scène et l’humour tout anglais de ses dialogues. Quel impact peuvent avoir, aujourd’hui, les quelques os poussiéreux d’un ancien roi ? Qu’importent son souvenir et l’exactitude de ce qui se dit sur lui ? Celui de redonner à chacun espoir en sa propre grandeur, semble nous dire le film.
Nul besoin d’admirer les rois ou même d’aimer Shakespeare pour que The Lost King touche son spectateur, car le portrait simple et sincère qu’il fait d’une passion intense concerne tout un chacun. Lorsque Philippa retrouve son Richard III, c’est un peu comme si l’Angleterre retrouvait son Roi Arthur dont la légende dit toujours qu’il renaîtra un jour de terre pour mener son peuple vers des lendemains meilleurs. Comme souvent, Frears choisit la petite lorgnette pour parler de ce qui anime profondément son pays, pour le pire et le meilleur, avec un regard de poète à la fois amusé et bouleversé.
Drapé dans la modestie de ses effets et le naturel de son écriture, The Lost King bouleverse sans prévenir, en nous offrant ces images d’une Philippa positivement hantée par un Richard III un peu trop lisse et un peu trop cheap, mais au pouvoir d’invocation sans limites. Mention spéciale à la séquence dans laquelle Philippa le voit galoper à cheval dans une plaine, flanqué de quatre ou cinq soldats, et que l’on jurerait voir se dérouler sous nos yeux une formidable bataille. Frears ajoute ici un nouveau grand film à la liste de sa filmographie déjà admirable.
Lecteurs
(3.2)02/04/2023 à 10:29
Excellente critique qui m'a fait découvrir des dimensions plus profondes à ce film non moins excellent. Les liens entre l'histoire, le Théâtre, l'Art et notre perception des faits. Il s'agit aussi d'une réhabilitation de 2 personnages Richard III et sa chercheuse.
02/04/2023 à 10:01
Je viens de voir le film, bravo pour votre article. Ce film est délicieux et superbement interprété, une histoire extraordinaire !
31/03/2023 à 13:01
Toujours un régal de vous lire.
30/03/2023 à 17:34
Cet article fait très très envie !
30/03/2023 à 09:09
Ah trop bien, merci d'en parler, la sortie de ce film m'avait complètement échappé !
30/03/2023 à 07:26
Bel article en tout cas, j’hésitais mais je vais aller le voir !
30/03/2023 à 07:25
A quand un article sur la version de Richard Loncraine ou Ian McKellen livre une de ses performances les plus époustouflantes, Gandalf compris ?
29/03/2023 à 21:34
Curieux de découvrir ce nouveau film, au sujet aussi atypique qu’intéressant, d’un auteur que j’apprécie beaucoup.