Mon crime : critique qui en tient une couche (d’Ozon)

Antoine Desrues | 7 mars 2023
Antoine Desrues | 7 mars 2023

Dans la lignée de 8 Femmes et de PoticheFrançois Ozon revient à la comédie et à sa dimension théâtrale avec Mon crime. Le réalisateur y déploie une pure loufoquerie à l’ancienne, mais en tire aussi une modernité politique, portée par son casting de luxe allant de Nadia Tereszkiewicz à Rebecca Marder en passant par Isabelle HuppertDany Boon et Fabrice Luchini.

Crime presque parfait

François Ozon se définit moins par son style que par la dimension protéiforme de ce dernier. S’il adapte sa mise en scène à ses sujets et aux genres qu’il investit, il a privilégié depuis quelques années une approche plus régulièrement naturaliste – pour ne pas dire lâche et ennuyeuse –, à destination de sujets sociaux et politiques qui demandaient pourtant un point de vue plus affirmé (Grâce à Dieu, Tout s’est bien passé).

Au moins, ces déceptions tendance téléfilms de luxe ont confirmé qu’Ozon est à son meilleur lorsqu’il assume l’artificialité de ses dispositifs et ses inspirations théâtrales. Avec Mon crime, adaptation d’une pièce de Georges Berr et Louis Verneuil (et grand succès de l’année 1934), il semble conclure une saga entamée par 8 Femmes et Potiche, et dans une moindre mesure Peter Van Kant. Il en reprend et condense les éléments majeurs (l’enquête, la dimension vaudevillesque, et le kitsch assumé) pour une proposition certes réglée comme du papier à musique, mais qui s’affirme comme son meilleur film depuis des lustres.

 

Mon crime : photo, Rebecca Marder, Nadia Tereszkiewicz8 Femmes 2

 

Dans le Paris des années 30, Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz) est une jeune actrice accusée du meurtre d’un célèbre producteur. Sa meilleure amie et colocataire, Pauline (Rebecca Marder), devient son avocate et lui permet d’être acquittée pour légitime défense... jusqu’à ce que le revers de la médaille pointe le bout de son nez.

Dès le lever de rideau inaugural, François Ozon s’amuse d’un trompe-l'œil qui prend vie par le mouvement (un matte-painting de piscine, avant que l'eau ne se mette à onduler). Derrière cette transition entre le théâtre et le cinéma, il y a surtout l’idée du double-jeu, de la tromperie imposée par ses deux protagonistes dans un univers intégralement factice.

 

Mon crime : photo, Nadia TereszkiewiczThéâtre de la justice

 

L'impossible Monsieur Ozon

C’est là que le réalisateur abat sa carte maîtresse : le décorateur Jean Rabasse (Delicatessen, Vortex...), qui fait en sorte que chaque objet raconte quelque chose de la chambre de bonne dans laquelle les deux héroïnes subsistent. Ce cocon fourmillant de détails n’en paraît que plus étriqué, alors que divers personnages toquent à la porte, soit pour un loyer impayé, soit pour entretenir une liaison.

Ozon en tire des images foisonnantes, portées par les va-et-vient de ses acteurs, et par le débit rapide de ses dialogues. Pas de doute, Mon crime se rêve en héritier de la screwball comedy, mais en puise une certaine modernité. Dans la frénésie de ses séquences, les décors se transforment en arènes attaquées de toutes parts par les hommes, et qui poussent les femmes à jouer un rôle, pour mieux redéfinir le terrain.

 

Mon crime : photo, Nadia Tereszkiewicz, Isabelle Huppert, Rebecca MarderQuand l'équipe d'Ecran Large sort de projection

 

Le centre de gravité du long-métrage (le tribunal qui accueille le procès) devient dès lors une autre scène de théâtre, où l’on prépare son texte et sa performance. Seule la logorrhée compte, et la misogynie crasse de certains personnages s’impose en porte d’entrée d’une justice raillée pour ses préjugés et son incompétence.

Le cinéaste se plaît non seulement à interpréter ces réécritures abracadabrantesques de la réalité par un noir et blanc désuet, mais sa satire est surtout portée par le cabotinage de ses comédiens, à commencer par le juge simplet délicieusement incarné par Fabrice Luchini. Mon crime est bien un film d’acteurs sur des acteurs, et Ozon leur offre un écrin idéal pour se laisser aller à ce postulat déjanté. Entre naïveté et ironie mordante, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder donnent le la dans cet océan de faux-semblants, sans parler de l’arrivée d’une Isabelle Huppert déchainée à mi-parcours.

 

Mon crime : photo, Dany Boon, Fabrice LuchiniDes hommes heureux

 

De cette énergie, le film jubile face à l’hypocrisie d’un système puritain qu’il met à mal, alors que ses dogmes sociaux volent en éclats à la manière d’un secret de polichinelle. Ozon en profite d’ailleurs pour instiguer une ambiguïté sexuelle forcément en accord avec le reste de son cinéma, et qui lui sert de socle pour mettre en exergue un sentiment de sororité.

Malheureusement, c’est aussi là que le long-métrage trouve sa limite. Sa légèreté (certes revigorante) et sa douce immoralité font rester l’ensemble à la surface, dans un certain confort trop typique du cinéaste depuis quelques années. Plutôt que de vraiment prendre à bras le corps ce rapport très contemporain au féminisme de son récit, Ozon se contente de retourner les codes qu’il pastiche sur eux-mêmes.

Ici, ce sont les hommes qui, apeurés par cette prise de pouvoir du féminin, sont réduits à de simples fonctions dans la narration. Le pied de nez est savoureux, mais demeure assez sage par rapport au potentiel satirique du film. Cependant, François Ozon tire tout de même de cette humilité d’approche une pastille attachante, une comédie joyeusement kitsch dont on profite comme d’un bonbon acidulé.

 

Mon crime : Affiche française

Résumé

En s’attaquant à la screwball comedy et en assumant l’artificialité théâtrale qui faisait le sel de 8 Femmes, François Ozon signe avec Mon crime son film le plus ludique depuis... trop longtemps. Un opus mineur, mais réjouissant.

Autre avis Judith Beauvallet
Ozon est meilleur quand il plaisante et nous évite ses points de vue douteusement sérieux sur des sujets qui lui échappent. Ici, il régale son spectateur dans une comédie colorée au ton décalé comme il sait l'écrire, qui désarçonne pour mieux faire rire. Pas un grand film, mais un vrai bon moment et des acteurs qui s'amusent autant que leur public.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(1.2)

Votre note ?

commentaires
GUYCASTER
29/09/2023 à 17:01

On voit que certains "critiques" ne peuvent supporter des films qui ont un début et surtout une fin, des acteurs qui articulent avec un débit normal et surtout qui font passer un bon moment au spectateur. Eux, ce qu'ils aiment, ce sont les films noirs (Amour...) et surtout ou le réalisateur laisse la spectateur imaginer sa propre fin en espérant qu'elle soit raccord avec la sienne. Si on les suit, vous verrez qu'un jour un enfant de Bergman (vieux) ou d'Haneke, qui sortira un film uniquement composé de son titre, ils le trouveront génial !
Même s'ils aiment le bon cinéma d'auteur, les "Baufs" ont le droit de rire de temps en temps sans passer la soirée à se faire des nœuds au cerveau.
Guy

Malda
15/03/2023 à 19:26

Très bonnes actrices mais scénario décevant
On passe quand même un bon moment

victor azelman
12/03/2023 à 21:03

Mais quel redoutable navet... Comment peut-on rire, même sourire à cette accumulation de lieux communs, de tartes à la crème ? On dirait une mauvaise pièce de théâtre jouée par les élèves d'un lycée en fin d'année, ou un film pseudo-comique des années 80 en ex-yougoslavie . J'ai quand même entendu des rire à plusieurs reprises dans la salle, ce qui m'interroge sur le niveau de finesse de la population française que je pensais un peu plus subtile. Affligeant.

La Dom
12/03/2023 à 20:05

Ce film délicieux m'a ravie, parodie loufoque d'un film muet, d'une pièce de théâtre, savoureusement immoral, un très bon moment.

Garoup
12/03/2023 à 09:52

Quel feu d'artifice ! acteurs déchaînés, splendeur des décors, intrigue au 25eme degré, dialogues à la dynamite. Me voici réconcilié avec Ozon et marre des grincheux !

Aurélie
10/03/2023 à 07:28

Ce film, c'est quand même la foire aux vieux schocks. On est supposé être en 1935, donc André Dussolier et ses 77 printemps devrait jouer le grand-père gâteux, pas le père industriel du fiancé de 23 ans. Daniel Prévost, le président du tribunal, a au moins 80 ans, Fabrice Luchini, etc. À croire qu'en France on n'a plus d'acteurs. Sur ce site vous critiquez tout le temps Liam Neeson qui est trop vieux, par ex dans Marlowe, mais on n'est pas mieux...

Thierryasi
09/03/2023 à 18:55

Ozon en accouchant d un film par an devient extrêmement prévisible. Pour moi c'est la preuve d'un système défaillant. Qu'est ce qui justifie les centaines de milliers d'euros que s'octroie ozon, artistiquement c'est banal, les entrées sont faibles et pourtant dans 11 mois sortira le nouveau ozon. Vous tapez sur Besson mais pour moi il y a beaucoup de défaillances.

caro3
09/03/2023 à 18:25

bien aimé tout : le jeu de tous ces grands acteurs, , l'histoire complètement immorale, les décors , les magnifiques costumes .....Merci. Tant que ce cinéma perdurera, n'en déplaise aux grincheux , nous aurons du plaisir à aller au cinoche!!

Poire
09/03/2023 à 17:54

C'est d'une faiblesse, économisez votre argent.

Mirabelle
09/03/2023 à 16:22

Rire a la française dans son meilleur, subtilité et beauté. On voit tellement de film ou le bon goût a disparu , qu'enfin on respire le parfum désuet certes de la France éternel

Plus
votre commentaire