La Montagne : critique qui vous gagne

Mathieu Jaborska | 2 février 2023 - MAJ : 11/09/2023 18:06
Mathieu Jaborska | 2 février 2023 - MAJ : 11/09/2023 18:06

La variation sur le motif des super-héros la plus originale est française et s'intitule Vincent n'a pas d'écailles. Huit ans après ce premier long-métrage très remarqué, Thomas Salvador se remet en scène dans La Montagne, aux côtés de Louise Bourgoin. Le film est reparti avec une ribambelle de prix lors de ses passages en festivals : prix SACD à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2022, l'Oeil d'or du Paris International Fantastic Film Festival 2022 et les prix du Jury et prix de la critique au Festival de Gerardmer 2023. Des récompenses amplement méritées.

LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE D'UNE SOURIS

Idéalement, il aurait fallu passer sous silence la dimension fantastique de l'intrigue, intervenant très tardivement, et par conséquent réserver la surprise du glissement progressif opéré par le film à nos lecteurs. Or, il a été sélectionné dans plusieurs festivals spécialisés (où Salvador craignait d'ailleurs d'être mal accueilli, à tort) et la promotion, plus particulièrement la bande-annonce, vend logiquement la mèche. La Montagne doit donner du fil à retordre à son distributeur : d'apparence naturaliste, il dévie jusqu'à toucher du doigt le merveilleux pur. Un mélange des genres délicat... et difficile à vendre.

Il faut dire que ceux qui avaient vu le premier long-métrage du cinéaste savaient à quoi s'en tenir : Vincent n'a pas d'écailles contait les déambulations d'un super-héros à la française, le décorum de ses homologues américains en moins. La Montagne est à la fois plus subtil et plus radical. Il prend d'abord la forme d'un récit de retour à la nature, d'une sorte d'Into the Wild neigeux. Pierre est un Parisien qui se prend de passion pour les Alpes lors d'une réunion professionnelle. Sur un coup de tête, il achète du matériel, saute dans un téléphérique et s'installe au coeur du massif du Mont-Blanc... pour ne jamais redescendre.

 

La montagne : PhotoFaire une rando itinérante : attentes

 

Ce n'est pas une diversion : le long-métrage est un voyage initiatique, traitant la lubie de son héros exilé en altitude avec une grande sensibilité et sa découverte de la sérénité alpine avec une précision assez ahurissante. Tourné sur place dans des conditions qu'on devine rudes, avec devant la caméra d'authentiques professionnels de la montagne, il comporte quelques prises de vue à couper le souffle et plusieurs plans carrément périlleux, restituant chacun de ses pas, de ses coups de piolet, de ses hésitations.

Et quand le fantastique s'invite à la fête au gré d'un effet spécial d'une inventivité inattendue, c'est pour pousser cette introspection encore au-delà des frontières du réalisme. Pas d'ambiguïté ou de roublardises : ce que trouve Pierre sur cette paroi rocheuse n'est pas une quelconque émanation de son esprit, mais bel et bien une forme d'absolu naturel que seuls les caractères obsessionnels comme lui sont voués à découvrir. Le surnaturel (au sens propre) ne se soustrait jamais au dispositif très terre à terre du film et n'en devient que plus hypnotisant. Et Salvador de raconter cette histoire avec une sincérité désarmante, puisqu'elle résonne particulièrement en lui.

 

La montagne : Photo Thomas SalvadorFaire une rando itinérante : réalité

 

L'aventure intérieure

C'est l'une des particularités de son cinéma : le réalisateur se met lui-même en scène en solitaire aux pouvoirs magiques. Chez beaucoup d'autres, on y verrait une pointe de narcissisme. Chez lui, c'est un véritable signe d'humilité. En dépouillant ses propres envies et réflexions de tout cynisme, en ne déviant jamais d'un véritable minimalisme, il explore justement son individualité, avec en filigrane cette idée explicitée dans un final bouleversant : pour retrouver sa place dans le monde, aussi modeste soit-elle, il est parfois nécessaire de se confronter à plus grand que soi.

Dans son dernier tiers, La Montagne pousse son idée jusqu'à des extrémités assez étonnantes... et aurait pu s'en tenir là, s'il n'entreprenait pas de revenir à une échelle plus humaine à travers le personnage campé par la trop rare Louise Bourgoin (extrêmement juste par ailleurs). Après avoir glissé du naturalisme au fantastique, il glisse du métaphysique à l'intime, tout simplement. Et l'objectif n'est clairement pas de s'extasier sur la portée philosophique de ce voyage, ou même d'en tirer de grandes conclusions sur notre rapport à la nature. Il s'agit de se positionner entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, quitte à trouver son bonheur dans une existence que d'aucuns jugeraient insignifiante.

 

La montagne : Photo Louise BourgoinLouise attaque

 

Une retenue presque timide, qui semble aller de pair avec la personnalité de son metteur en scène, acteur et co-scénariste (aux côtés de Naïla Guiguet), nerveux quand il s'agit de présenter son oeuvre. Pourtant, celle-ci fait preuve d'une singularité rafraichissante (sans mauvais jeu de mots), dissimulée entre les grandes fresques ambitieuses, parfois étouffantes, qui squattent les multiplexes en ce début d'année. Comme son protagoniste parvient à s'extraire des schémas mécaniques des robots qu'il développe pour tester son humanité, La Montagne vient insuffler un peu de simplicité dans nos salles.

Quant à la carrière de Thomas Salvador, elle est devenue en deux longs-métrages à peine absolument fascinante. Dommage que ses films ne rencontrent pas un plus large public, qui pourrait enfin dissocier le mot "auteur" des cimes élitistes auxquelles il l'associe parfois, à tort ou à raison. Le grand film populaire de ce début d'année n'est ni un blockbuster suintant l'entre-soi périmé, ni un présentoir à statuettes : c'est un film sur les grimpeurs, les frileux, les cinéphiles... Les gens, quoi.

 

La Montagne : Affiche

Résumé

Thomas Salvador mélange adroitement les genres pour trouver une place dans le monde. Un film minimaliste, humble, qui soulève pourtant des montagnes.

Autre avis Judith Beauvallet
Les paysages et les images enchanteresses des scènes fantastiques sauvent de peu ce film anti-charismatique, plombé par l'interprétation de ses dialogues sans rythme et son personnage principal plus vide que mystérieux.
Autre avis Geoffrey Crété
C'est radical dans les meilleurs comme dans les pires moments. Mais au moins, c'est un voyage ambitieux et poétique qui ne ressemble à rien d'autre, et laisse une belle empreinte longtemps après le visionnage.
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Lecteurs

(3.2)

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commentaires
Dario 2 Palma
01/05/2023 à 22:41

Film trop long, cette histoire aurait bien mieux fonctionné sous forme de court-métrage. Il y a de rares visions fantastiques un peu intrigantes mais dans l'ensemble le film est plat, ennuyeux et vain.

Ano
08/02/2023 à 16:00

Un film très apaisant, poétique, mais la relation amoureuse, trop pudique, ne m'a pas touché. Louise Bourguoin y est lumineuse

Ankytos
03/02/2023 à 08:10

D'accord avec la critique. Joli film, qui a fait son petit effet sur moi en tout cas.

yo
02/02/2023 à 21:31

ça vous arracherez la gueule d intégrer la bande annonce des films présentés systématiquement, à tous vos articles au lieu d aller faire de la glisse dans le massif centrale, merci et ça me fait mal de le dire, je parlais du mot "merci" évidement,

2001
02/02/2023 à 20:11

Merci Mathieu ! Adieu Judith (sans rancune)

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