You People : critique qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu sur Netflix

Axelle Vacher | 27 janvier 2023
Axelle Vacher | 27 janvier 2023

Premier long-métrage de Kenya Barris (derrière la sitcom Black-ish), You People semble avoir pour ambition de dénoncer moult différends générationnels, culturels, religieux, ou encore ethniques dont souffrent encore les sociétés actuelles. Portée par une une sympathique poignée de pointures de l'humour telles que Jonah HillEddie MurphyDavid Duchovny ou encore Julia Louis-Dreyfus, cette comédie romantique aux bonnes intentions tient-elle son pari, ou s'agit-il d'une énième production Netflix prônant vaguement la bien-pensance sans se mouiller ?

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Si Kenya Barris et ses différentes créations demeurent majoritairement confidentielles dans nos vastes contrées hexagonales, son Black-ish et autres spin-offs sont de petits phénomènes nationaux au pays de l'Oncle Sam. Comptant parmi ses aficionados les plus invétérés l'ancien président Barack Obama, la première sitcom dressait le portrait humoristico-grinçant de l'Amérique contemporaine par le prisme d'une famille afro-américaine. Par delà les traditionnelles saynètes de la vie quotidienne, Kenya Barris s'est ainsi appliqué à figurer sans détour moult sujets de sociétés tels que les violences policières perpétrées à l'encontre de la communauté noire, ou plus généralement, les conséquences désastreuses de l'élection de Donald Trump en 2016. 

Inutile donc de chercher trop loin quelles sont les thématiques récurrentes à l'oeuvre du producteur, scénariste, et occasionnellement cinéaste. Largement inspiré de sa propre expérience face au racisme systémique et autres joyeusetés plus emblématiques des États-Unis qu'un cheeseburger à huit étages, c'est sans trop de surprises que Kenya Barris a décidé de réemployer ces différents motifs afin d'en nourrir son tout premier long-métrage en tant que réalisateur.

 

You People : photo, Jonah Hill, Sam JayCeci est une annonce publique qu'il faut être sympa avec son prochain, voilà, merci

 

Co-écrit avec l'acteur Jonah Hill (lequel prête également ses traits au personnage principal), You People fait donc le récit d'un jeune couple pris en tenaille par les multiples dissemblances entre leurs deux familles respectives. D'un côté, il y a donc le brave Ezra Cohen, jeune cadre financier frustré aussi juif que blanc, et ses parents "progressistes et semi-woke" (c'est le synopsis qui le dit), interprétés avec brio par David Duchovny et l'humoriste Julia Louis-Dreyfus. De l'autre, Amira Mohammed (la sympathique Lauren London), noire et musulmane, fille des intransigeants Akbar (un Eddie Murphy brillant de stoïcisme) et Fatima (une Nia Long reléguée au statut de matriarche quasi muette).

Fatalement, avec une pareille brochette de personnages frisant sciemment les archétypes, l'union entre les deux futurs tourtereaux ne peut décidément pas se produire sous les meilleurs auspices. De fait, tout le ressort comique de cette nouvelle rom-com Netflix repose sur ce qui oppose les deux personnages, ce qui, en soit, n'a rien de particulièrement original tant en termes d'intrigue que d'enjeux.

D'autant plus que ce genre de récit a généralement tendance à tomber dans le discours moralisateur avec la finauderie d'une intervention d'Eric Zemmour. Néanmoins, au vu du contexte sociopolitique étatsunien (et pas que) actuel, ou encore du récent scandale antisémite de Kanye West, un rappel brut de décoffrage que l'intolérance, c'est mal, tombe peut-être finalement à point nommé. 

 

You People : photo, Lauren London, Jonah HillQu'est-ce qui pourrait bien mal se passer ?

 

Jeu des 1000 différences

Le scénario de Kenya Barris et Jonah Hill ne tarde donc guère à jouer cartes sur table. Rapidement, il est évident pour le spectateur que les deux personnages sont voués à s'adonner au traditionnel "meet cute" avant de succomber au charme l'un de l'autre. Il ne faudra d'ailleurs pas plus d'une vingtaine de minutes pour que le couple décide de s'installer ensemble et d'acquérir une modeste propriété en plein Los Angeles (ce qui est, en soi, l'élément le moins crédible du film, mais passons). C'est expéditif, mais délibéré : après tout, les fiançailles sont moins l'objet principal de cette histoire que l'explosion familiale qui en découle inéluctablement.

Un fait regrettable si l'on considère que c'est passé la première demi-heure que You People vire proprement dans le médiocre, et explose au passage le cringeomètre cinématographique. On en conviendra, l'exercice satirique n'est pas nécessairement le plus évident. Il s'agirait toutefois de chercher un tant soit peu à verser dans ce juste milieu tristement oublié par une grande majorité des productions actuelles pour que le propos désiré ait le loisir d'être réellement pertinent. Néanmoins, la pléthore de commentaires enthousiastico-ignorants propres au personnage de Louis-Dreyfus, couplés aux tendances ouvertement xénophobes du patriarche Mohammed plongent moins le récit global dans l'éducatif burlesque que le malaise pur et simple.

 

You People : photo, Jonah Hill, Julia Louis-DreyfusLes Noëls en famille s'annoncent fun

 

Et si cela ne suffisait pas à flirter dangereusement avec le grotesque, le film en remet une couche en ayant le culot de dresser un parallèle entre la manière dont les deux familles traitent la situation là où il n'a clairement pas lieu d'être. En effet, si la famille Cohen prône une bien-pensance si paroxystique qu'elle en devient régulièrement ridicule, celle-ci n'en demeure pas moins accueillante à l'égard de leur future belle-fille, bouillonnant à l'idée même "d'incarner le progrès devant une famille de couleur" (quitte, bien souvent, à réduire Amira au vulgaire statut de poupée exotique).

Face à cette chaleurosité aussi envahissante qu'infantilisante se heurte néanmoins le rejet sans équivoque de la famille Mohammed, clairement réfractaire à cette union indésirée. À la seconde même où Ezra décide de convier ses futurs beaux-parents à déjeuner (on ne s'attardera pas sur la maladresse de la démarche en question), le personnage d'Eddie Murphy n'a rien fait d'autre que de chercher à ruiner les fiançailles par un bizutage éhonté.

 

You People : photo, Jonah Hill, Eddie MurphyRamener son gendre accidentellement vêtu aux couleurs républicaines dans un barbershop démocrate

 

L'unique confrontation socio-culturelle à réellement valoir le détour dans ce ramassis de clichés revient à la séquence de repas où les deux familles se rencontrent au complet. Pendant quelques minutes, le film semble même se décider à prendre enfin le taureau par les cornes et assumer son sujet indépendamment des multiples gags écrits pour amuser la galerie. Alors que les deux familles revendiquent à tour de rôle les crimes et préjudices portés à l'encontre de leurs communautés respectives, de véritables enjeux commencent alors à poindre le bout de leur nez.

 

You People : photo, David Duchovny, Julia Louis-Dreyfus, Jonah Hill, Lauren London, Nia Long, Eddie MurphyGénocide ou asservissement racial ? 

 

love, racially

Cette tendance maladive à sacrifier de réelles revendications politiques sur l'autel d'un humour, là encore, plus gênant qu'instructif est d'autant plus regrettable que le scénario parvient malgré tout à distiller une poignée de propositions intéressantes. Il est ainsi possible de retrouver une adresse très juste au privilège blanc systémique, poussant ceux issus de foyers de couleur à redoubler d'efforts ne serait-ce que pour obtenir des opportunités similaires à leurs congénères caucasiens.

Plus qu'une comédie figurant un couple interracial avec tout ce que cela peut entendre de différends ethniques (même si le fait de traiter cette occurrence comme d'une nouveauté progressiste en 2023 est, en soi, quelque peu déroutant), You People injecte à l'équation une dimension religieuse loin d'être inintéressante. Les couples issus de couleurs et nationalités différentes étant désormais devenus monnaie courante au sein des sociétés, glisser quelques enjeux liés à la religion pouvait ainsi avoir matière à légitimer le propos du film tout en ajoutant quelques éléments de tension bienvenus.

 

You People : photo, Travis Bennett, Eddie Murphy, Lauren London"La couleur, c'est de famille, et ça reste dans la famille, capiche ?"

  

Néanmoins, l'ensemble des discours que cela aurait pu engendrer avec finesse et acuité se fait tristement éclipser par une multiplication de bouffonneries indigestes qui n'en finissent pas de s'enchaîner. Dire que le scénario de Barris et Hill manque de subtilité transcende ainsi toute définition relative à l'euphémisme. Le spectateur n'aura par ailleurs nullement le loisir de se reposer sur les différents interprètes du film en vue de rendre l'expérience un tantinet plus agréable.

Si Jonah Hill est, comme à son habitude, excellent dans le rôle d'un trentenaire désabusé ne sachant pas franchement quoi faire de ses dix doigts, et qu'Eddie Murphy est fort convaincant dans le rôle du papa-poule à demi psychopathe, l'alchimie entre le couple principal (lequel est, rappelons-le, le sujet même autour duquel se construit le récit) est si inexistante qu'Ezra et Akbar auraient pu former une union plus crédible. Et puis, tant qu'on y est, allons-y franchement : le personnage de Jonah Hill et les baskets qu'il collectionne semblent de meilleurs candidats à la romance que le sont Amira et lui.

 

You People : photo, Eddie Murphy, Jonah HillRendez-vous amoureux sur le terrain

 

Au final, les débats que s'échangent Ezra et son amie Mo (l'excellente Sam Jay) à l'occasion du podcast qu'ils animent ensemble servent davantage le message global qu'essaie de transmettre le film que la multitude de pseudo querelles familiales engagées entre les Cohen et les Mohammed. C'est au demeurant l'honorable volonté derrière le scénario qui donnerait presque envie de lui pardonner ses (multiples) offenses.

C'était toutefois sans compter sur le final aussi dégoulinant que nauséabond sur lequel s'achève improbablement le film. Certes, il s'agit là d'une comédie romantique et bien sûr qu'un final sirupeux est attendu au programme. Il s'agirait toutefois d'apprendre à distinguer "mielleux" de "vomitif" en vue de ne pas porter le coup de grâce à un spectateur déjà bien malmené. Loin d'être la satire mordante prétendue par son créateur, et plus loin encore d'être la petite rom-com sympathique promise, You People tombe donc à mille lieues de son sujet et ne propose guère qu'une énième production Netflix insignifiante.

You People est disponible sur Netflix depuis le 27 janvier 2023

 

You People : affiche (1)

Résumé

La surprenante réussite Netflix que fut Do Revenge, ainsi que les présences au casting de Jonah Hill, Eddie Murphy et Julia Louis-Dreyfus laissait présager, sinon une satire socio-politique pertinente, du moins un divertissement correct. Au final, You People n'est qu'une triste collection de clichés ethniques, manifestement moins soucieux de faire rire que de susciter le malaise.

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commentaires
Sanchez
06/02/2023 à 00:11

Horrible film à tous les niveaux. Cette mise en scène digne de scène de ménage c’est déjà pathétique

Don.P
29/01/2023 à 09:20

Article très bon
Par contre film nul à chier malgré Jonah' hill

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