La famille Asada : critique qui aime la vie

Déborah Lechner | 24 janvier 2023 - MAJ : 03/02/2023 09:20
Déborah Lechner | 24 janvier 2023 - MAJ : 03/02/2023 09:20

2023 vient à peine de commencer, mais La famille Asada, qui arrive en salles ce 25 janvier, s'impose déjà comme un immense coup de coeur et un des meilleurs films de l'année. Avec son nouveau long-métrage, le japonais  a mis au point un antidépresseur nécessaire, qui agit en quelques minutes et laisse les yeux humides et le sourire béat en guise d'effets secondaires.

LA FAMILLE, C'EST SACRÉ

Avec un titre comme La famille Asada, il est évident que le thème de la famille, particulièrement prégnant dans l'oeuvre de Ryôta Nakano, se retrouve également au coeur de ce cinquième long-métrage. Le film retrace le (vrai) parcours de Masashi Asada, un photographe japonais qui a lui-même mis les membres de sa famille au centre de plusieurs de ses travaux, mettant en scène leurs fantasmes et rêves d'enfants dans une série de clichés tordants. De la même façon qu'il se dégage de l'album photo originel une joie communicative, le film affiche une douceur et une euphorie désarmantes.

Les vies manquées et les désirs inassouvis de ces personnes devenues des personnages ne laissent jamais place à une quelconque amertume ou aux regrets, le scénario préférant la candeur et l'amusement à toute forme de cynisme ou d'aigreur. Ainsi, même quand il est traversé de zones d'ombre, le récit revient toujours à un optimisme, dégoulinant certes, mais jamais écoeurant. Dès la première séquence, l'histoire mêle le comique au tragique, jusqu'au dénouement qui prend le contrepied de la scène pour déjouer les attentes avec une malice et une espièglerie irrésistibles. 

 

La famille Asada : photoJeux d'enfants

Plus que l'énergie inépuisable des Asada, le film témoigne de la complicité de cette famille étonnamment saine, aux antipodes des modèles dysfonctionnels souvent représentés au cinéma ou à la télévision. À chaque épreuve, à chaque tempête, le foyer redevient pour Masashi un port d'attache et un sanctuaire où les non-dits et rancoeurs finissent toujours par se dissiper. Le film interroge de fait la notion de famille, de parenté, et décortique avec beaucoup de sensibilité ce qui crée ce "nous" souvent indéfinissable.

Cette idée s'illustre à l'écran à travers la pièce de vie principale des Asada, un lieu modeste, immuable et surchargé de souvenirs, au milieu duquel trône la table à manger, qui devient le réceptacle des retrouvailles, engueulades, rires et confessions des membres de cette famille (et de tous ceux qui viennent l'agrandir). Si la famille est aussi attachante, c'est aussi parce qu'elle affiche une décomplexion à toute épreuve, notamment en explosant certaines normes sociales encore tenaces au Japon.

 

La famille Asada : photoDe belles personnalités, portées par des interprètes brillants qui plus est

 

Dans la famille Asada, c'est le père qui reste au foyer, fait à manger et s'occupe du linge, celui-ci ayant choisi de s'occuper de l'éducation de ses fils pour laisser sa femme vivre sa vocation d'infirmière et lui permettre d'être carriériste sans culpabilité. Autrement dit, un acte noble dans une société extrêmement patriarcale (encore plus dans les années 90) où la valeur en tant qu'humain est encore trop souvent ramenée au travail.

Le film a donc un regard particulièrement tendre envers cet homme atypique, d'abord présenté comme un maladroit indécrottable, jusqu'à ce que des dialogues (tous réfléchis et magnifiquement récités) laissent transparaître sa sagesse et sa bonté. C'est lui, cet homme faussement raté, qui sert de modèle à Masashi. C'est lui qui lui offre son premier appareil et lui transmet sa vision très intime et altruiste de cet art du quotidien. C'est lui qui est finalement érigé comme un héros, comme le pilier de cette famille marginale, imparfaite, mais excessivement fascinante et inspirante. 

 

La famille Asada : photoLà où tout commence
 

LES PHOTOS, C'EST SACRÉ

La première moitié du film se penche sur le parcours du cadet de la famille, qui se cherche, se perd et se retrouve. Cette démarche très intime et introspective prend son envol dans la seconde moitié du récit qui resserre le temps autour de mars 2011, date à laquelle un tsunami a ravagé l'archipel. Face aux dégâts humains et matériels qui le dépassent, Masashi pose son appareil et décide de se mettre au service des autres plutôt que de documenter froidement la catastrophe.

En nettoyant les photos d'inconnus, il s'implique dans une mission de restauration et de restitution. Ce sont alors des milliers de fragments de vie qui s'intègrent à la grande histoire, de façon simple, mais émouvante (à l'image de cette dame âgée qui retrouve ses souvenirs). La caméra insiste d'ailleurs sur la délicatesse de ses mains qui retirent la boue de ses vestiges et trésors, redonnant à nos photos de classe, de vacances et de repas du dimanche une valeur inestimable, loin de tout élitisme ou exigence artistique.

 

La famille Asada : photoRecréer un album pour reconstruire sa famille

En retrouvant leurs photos, les sinistrés retrouvent un bout de leur vie passée et les dernières traces de celles et ceux qui n'existent plus, qu'ils ne reverront jamais. C'est aussi là qu'entrent en jeu la fidélité et la solidarité qui unissent tous les personnages, même les secondaires : Wakana, parfois peu sympathique, mais d'une loyauté sans faille, la tenancière qui ne quitte jamais un navire sur lequel elle a embarqué, le volontaire Ono à l'initiative du projet humanitaire ou le père de famille endeuillé dont le chagrin est dévastateur. 

Même cette tournure dramatique est l'occasion de faire ressortir le meilleur de l'humain, alors qu'on est plus habitué à voir le pire ressurgir dans ce genre de situation. Le proverbe est un peu rouillé, mais La famille Asada rappelle que c'est bien l'union qui fait la force, et qu'il n'y a rien de niais ou risible à le prôner. Cette générosité sans limites, cette dévotion désintéressée, c'est tout ce qui fait la beauté de l'homme et de l'artiste, qu'on ne saurait d'ailleurs séparer l'un de l'autre. 

 

La famille Asada : photo, Kazunari NinomiyaToute la pureté et la puissance du film en une scène clé 

 

LES AUTRES, C'EST SACRÉ

Masashi, en sa qualité de photographe et protagoniste, se substitue en quelque sorte au cinéaste. Comme lui, il refuse d'appuyer sur le déclencheur tant qu'il n'a pas entièrement compris ses sujets (il ne photographie d'ailleurs que sa famille et sa petite-amie durant une bonne partie du film). Il s'intéresse ensuite aux personnes, déniche les détails qui les caractérisent, les petits riens qui les animent et les rendent tout à fait uniques. Il ne veut pas d'un travail froid et mécanique, et cherche toujours à créer des liens forts, et même indéfectibles, avec celles et ceux qui se trouvent devant son objectif, d'où son inquiétude quant au sort d'une des familles proches de l'épicentre du séisme. 

Son implication et son dévouement sont totaux, surtout quand l'émotion et la compassion prennent le pas sur la rigueur professionnelle (mais jamais pour faire du tire larmes facile ou grossier). Comme Ryôta Nakano recourt à la mise en scène pour retranscrire la vie de Masashi, ce dernier a lui aussi recours à la mise en scène, c'est-à-dire à une part d'artificialité, pour capter l'authenticité et l'essence de ses sujets.

 

La famille Asada : photoMoment suspendu

 

Le film fait appel à cette même sensibilité, à cet art de la composition pour donner un sens à la plupart des plans avec une maîtrise discrète, jamais envahissante : une tortue pour symboliser l'insouciance et l'immaturité de Masashi ou la simple image d'une petite fille portant une montre beaucoup trop grande qui pince instinctivement le coeur. 

Les regards empathiques de Masashi et de Ryôta Nakano se superposent également. Le film est donc fondamentalement bienveillant et amical avec tous ses personnages, dont il sublime les forces et souligne les maladresses et le ridicule, sans jamais tomber dans la moquerie. Leur portrait est toujours tendre et surprenant, jusque pour l'éditrice barrée et un peu trop portée sur la picole, qui croit aveuglément en Masashi et son travail, qu'importe le manque à gagner.

Cette même sincérité un brin candide, et cette même exaltation irriguent plus globalement tout le long-métrage, qui se révèle aussi lumineux que précieux dans un monde aussi blasé que le nôtre. 

 

La famille Asada : affiche

Résumé

Un film aussi beau, humain et tendre que La famille Asada ne peut que soulever le coeur (et mouiller les yeux). 

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Lecteurs

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commentaires
Hélène
05/03/2023 à 10:02

Merci pour cet article, c est exactement cela, rien à ajouter.

Monette
09/02/2023 à 13:30

Ce film est super,les acteurs excellents

Bine
04/02/2023 à 23:44

Très beau film où on s'identifie facilement avec les défauts et les qualités de cette famille, à travers les albums de photos: Sujet universel où en toile de fond la société japonaise retient ses sentiments quand le spectateur retient son souffle. Très émouvant et amusant en même temps.

Paulo
30/01/2023 à 16:31

J'ai beaucoup aimé ce film.Tout en
Finesse et délicatesse.Le respect de
La famille ,le respect les uns pour les
Autres .Toutes ces valeurs que nous perdons de plus en plus dans notre société.Plein de poésie aussi. Cela fait
Du bien .

Jojo
28/01/2023 à 16:40

Je sors de ma séance, j'ai adoré, ça fait du bien de voir ce genre de film !!!

Mizdema
25/01/2023 à 20:43

Bienveillant, amical, joyeux, familial.
Ces gens s'aiment beaucoup.
Ce film m'a fait beaucoup de bien. J'en suis sorti ému et guilleret.

Le Serpent
24/01/2023 à 19:11

Voilà qui fait envie!! Je cours le voir...enfin, ce weekend plutot...mais ca a l'air enthousiasmant (ca ne fera malheureusement pas autant de commentaire qu'un avatar 2 -qui n'est mas si mal d'ailleurs- mais c'est la vie!)

Cidjay
24/01/2023 à 15:47

En gros, c'est nos voisins les Yamada en version Live Action ! ^^

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