Saloum : critique de hyène
Après Blood Machines et Vesper Chronicles, on était plus que curieux de découvrir la dernière production de Rumble Fish : Saloum, écrit et réalisé par Jean Luc Herbulot, avec Yann Gael, Evelyne Ily Juhen, Mentor Ba et Roger Felmont Sallah. À la croisée des chemins entre le western sauce militaire et le survival surnaturel, cet OVNI sénégalais a beau pâtir de manquements évidents, c'est une étonnante rareté au charme irrésistible et qui mérite vraiment qu'on s'y attarde.
REMINGTON STYLE
Dès le captivant plan-séquence d'ouverture de Saloum, rêche et loin des tentations m'as-tu-vu des épigones de John Wick, le spectateur sait qu'il n'est pas dans une séance normale, et pour cause. Proche de la niche de l'acid western halluciné, mais endiablé comme un film de cavale et construit autour d'une improbable césure qui n'est pas sans rappeler Une Nuit en enfer, Saloum cumule les genres comme son aîné et étonne continuellement.
Chaque photogramme déborde d'amour pour le genre, chaque image tourbillonne d'envie créative, chaque seconde se vit comme le renouvèlement d'une promesse artistique fiévreuse à l'enthousiasme communicatif. Fort de son décor aussi magnifique qu'atypique et de ses thèmes et motifs trop rares, Saloum a des choses à dire, ou plutôt, à montrer. Trop sans doute, car Saloum veut être tout à la fois. Cela lui confère un côté foufou pas déplaisant et enrichit le long métrage, pour sûr. Mais cela le conduit également à une certaine dispersion, ainsi qu'à de téméraires sautes tonales.
Cours après deux lièvres et tu n'en attraperas aucun dit le proverbe. Gourmand, Saloum en chasse une dizaine en même temps. Miracle cependant : grâce à son rythme prenant, ses mouvements d'appareil travaillés, la maîtrise de son découpage, Saloum en chope sept sur dix et orchestre un jeu de massacre brut de décoffrage, au propre comme au figuré.
C'est que, les hyènes de Bangui, notre trio de personnages principaux, ne sont pas du genre à se laisser baver sur les rouleaux. Impitoyables mercenaires sortis d'un Sergio Leone, nos charognards en cavale charrient dans leur sillage tout un univers de violence... mais également de subtilité, cachée derrière la dégaine fantasque du film et ses coutures à l'arrache. Saloum claque à l'écran, dans la rétine, mais secoue aussi en dedans. On pourrait croire que Jean Luc Herbulot joue au dur, mais plus il se rapproche de sa cible – à savoir, la question des enfants soldats –, plus on comprend (trop tard) que ce jeu est un faux-semblant destiné à baisser notre garde pour nous terrasser avec ses morceaux de bravoure.
Pour une poignée de lingots d'or au soleil
WOLOF DEATH
À l'image de nos trois hyènes se faisant passer pour d'innocents touristes à lunettes, le metteur en scène avance à pas de loups, envoûte pour mieux frapper, mute d'une scène à l'autre pour survivre. Articulée autour de thèmes et d'un imaginaire beaucoup trop rares, cette promesse de cinéma est si belle et si jouissive lorsqu'elle se réalise, comme au cours d'une séquence de dîner avec cordite au menu, qu'elle donne envie d'oublier là où Saloum pêche.
Car, si le film est rempli à ras bord de bonnes intentions, il n'a malheureusement pas les ressources pour tout accomplir, être à la fois un western southern suffocant, et un thriller d'action surnaturel, et un trip mystique, etc. Dialogues gouailleurs, mais bien trop bavards, jeu inégal du casting ou encore quelques éléments de narration fouillis : rien qui ne vienne fondamentalement casser la projection, certes.
Et en même temps, une accumulation de petites choses qui forment un ensemble difficile à occulter ou de simplement renvoyer à la marge du visionnage, tant un raccord audacieux par-ci ou un VFX par-là nous font frôler l'amateurisme. Joyeux et éclairé, oui, et, quelque part, cela contribue d'autant plus à la particularité de la saveur pulp de Saloum, qui sent bon l'artisanal "old school", loin de la posture vintage opportuniste. Mais ça frôle quand même.
Saloum est sur trop de fronts en même temps, et fait regretter que certaines ambitions n'aient pas été abandonnées pour satisfaire à fond celles qui restent. Pourtant, ce qu'il faut comprendre, c'est que Saloum est précisément le type d'œuvre que l'on apprécie aussi, voire justement, pour ses défauts. Pourquoi ? Parce que les limites de Saloum procèdent justement de sa démarche créative en dehors de la norme qui anime un film qui veut sans la moindre ombre d'un doute bien faire, qui fait bien la plupart du temps, mais qui souffre de vouloir trop faire – à fortiori, avec un budget qu'on devine étroit. Mais si la fortune sourit aux audacieux, elle devrait être enchantée face à Saloum, comme nous l'avons été.
Lecteurs
(0.0)31/01/2023 à 07:57
Encore un film atypique que je verrais pas passer par les écrans ici... Dommage, la proposition a l'air intéressante et originale !
25/01/2023 à 13:38
Merci à vous de couvrir ce film. j'attendais d'en savoir plus après une bande-annonce très intrigante.
25/01/2023 à 13:19
Il y a des 3/5 plus durs à mettre que d'autres.
Alors il fallait mettre 3,5/ 5 ^^