Ernest et Célestine, le Voyage en Charabie : critique Antifa

Déborah Lechner | 15 décembre 2022
Déborah Lechner | 15 décembre 2022

Dix ans après le premier Ernest et Célestine, qui a remporté le César du meilleur film d'animation et été en lice pour l'Oscar, les deux amis sont de retour sur grand écran pour un Voyage en Charabie mouvementé. Mais si cette nouvelle aventure réchauffe une fois de plus le coeur en prônant la désobeissance civile et le soulèvement populaire, elle frappe moins fort et mouille un peu moins les yeux. 

BIENVENUE À FACHOLAND

Quelque part entre l'Absurdistan et le Kafkastan, il y a la Charabie, un petit pays niché dans les montagnes d'où est originaire Ernest et où il ferait bon vivre si la loi n'était pas complètement insensée. Dans cet endroit étrange, les enfants doivent obligatoirement s'habiller comme leurs parents et exercer la même profession qu'eux. Les feux et les panneaux de signalisation se contredisent, la musique et le chant des oiseaux sont interdits, et, en conséquence, les instruments de musique ne peuvent jouer qu'une seule note. Et la moindre incartade entraîne un procès expéditif et une condamnation à de la prison ferme. 

Rien qu'avec ce postulat, il est évident que ce second long-métrage, plus aventureux et dépaysant, a été pensé comme un nouveau pamphlet contre l'obscurantisme et le totalitarisme, à destination d'un jeune public qu'il veut sensibiliser à ce genre de problématiques sociopolitiques. Mais tout le charme et l'intérêt d'Ernest et Célestine est de savoir aborder des sujets graves et complexes en restant en apparence candide et léger, à hauteur d'enfant.

 

Ernest et Célestine : le Voyage en Charabie : photoPoint Godwin dans 3, 2, 1...

Cette  douceur et cette docilité trompeuse sont renforcées par l'omniprésence des teintes pastel, des aquarelles et du trait discontinu des dessins, qui confèrent au diptyque son savoir-faire artisanal précieux et son identité visuelle unique. Cette fois-ci, le propos est encore plus épais et affûté. Sans chercher à détourner une autre légende populaire après celle de la petite souris, Le Voyage en Charabie empile les clés de lecture riches et malines en rapport avec le dogmatisme, notamment à travers un sophisme bien connu des enfants, l'horripilant : "c'est comme ça, et pas autrement !"

Le but est à nouveau de définir et caractériser le fascisme, de prôner une forme de désobéissance contre le despotisme (un autre bel exemple après le magnifique Pinocchio de Guillermo del Toro), de revendiquer le droit à l'indignation et à l'anticonformisme. Car si on en doutait encore, Ernest et Célestine sont deux grandes figures anarchistes, et on plaisante à peine en l'écrivant. 

 

Ernest et Célestine : le Voyage en Charabie : photoDaddy issue

 

De son côté, la Charabie est le terrain idéal pour que le récit déroule ses intentions. Comme l'a expliqué le coréalisateur Julien Chheng (par ailleurs cofondateur du studio La Cachette), le pays est un patchwork d'influences de l'Est. Celui-ci reprend les constructions urbaines des régions d'Extrême Nord, les reliefs du Nord du Pakistan ou encore les couleurs vives de vieux quartiers de Turquie ou de Géorgie.

En plus de donner à ce lieu un caractère cosmopolite pour un message plus universel, la Charabie conserve un ancrage réaliste couplé à des touches plus fantaisistes (comme les tyroliennes qui la traversent et forment les lignes d'une partition). La chaleur et la facétie qui se dégagent du paysage permettent ainsi à des endroits clés comme la prison ou le tribunal de dénoter par leur austérité et minimalisme semblables à l'architecture soviétique

 

Ernest et Célestine : le Voyage en Charabie : photoDes décors plus travaillés et moins anodins

 

RANGEZ LES MOUCHOIRS 

Pour autant, après avoir posé une toile de fond particulièrement triste dans le premier volet, où Célestine était encore une jeune orpheline exploitée par la société et Ernest un saltimbanque qui fouille les poubelles pour se nourrir, Ernest et Célestine : le Voyage en Charabie se déroule comme un cadre qui prête plus à sourire qu'à pleurer.

Forcément, à côté de l'apartheid et de l'extrême précarité dépeints précédemment, cette suite est tout de suite moins poignante, l'univers étant plus absurde et les situations plus burlesques, comme lors de la course poursuite ridicule avec les policiers bêta, mais pas bien méchants. Cette bonhommie ambiante dilue le propos alors même que le scénario se voulait encore plus près des enfants en s'adressant directement à eux. 

Après avoir forgé et fièrement revendiqué leur amitié, celle-ci est sans surprise mise à mal, mais le mur qui se dresse timidement entre Ernest et Célestine est trop friable pour être crédible.

 

Ernest et Célestine : le Voyage en Charabie : photoPetit ours brun et les dérives autoritaires

Leur dispute est précipitée, et le chagrin de Célestine, qui se retrouve livrée à elle-même, ne dure que quelques minutes. Soit pas suffisamment de temps pour impacter de l'autre côté de l'écran. C'est probablement parce que leur relation n'est plus au coeur du scénario, contrairement à la réconciliation entre Ernest et sa famille.

Malheureusement, même si l'intention est louable, la représentation de la famille dysfonctionnelle n'est pas très travaillée (si ce n'est pour s'en moquer), tandis que le dénouement est trop artificiel et là encore trop précipité pour susciter autant d'émotion qu'escompté. De son côté, Mila, la petite soeurours d'Ernest, aurait mérité un peu plus d'attention et de caractérisation, celle-ci servant avant tout de ressort scénaristique. 

Évidemment, ces défauts n'entachent pas la sincérité et la beauté du film, dont les méthodes de production sont encore trop rares dans le paysage actuel. De fait, le retour d'Ernest et Célestine dans un troisième volet est toujours le bienvenu (surtout pour casser du facho). 

 

Ernest et Célestine, le Voyage en Charabie : Affiche officielle

Résumé

Malgré son ton plus léger et son traitement plus absurde du totalitarisme, Le voyage en Charabie d'Ernest et Célestine reste un film d'animation doux et intelligent dont il serait stupide de se priver (y compris pour les adultes). 

Autre avis Antoine Desrues
Ce Voyage en Charabie a pour principal défaut de devoir être comparé à un premier film brillant, dont il ne parvient pas à restituer l'émotion. Mais reste une bien belle proposition, maline et accessible.
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Lecteurs

(2.7)

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commentaires
Jacques
25/12/2022 à 17:45

Quelle tristesse que la toute belle tendresse entre Ernest et Célestine, qu'on retrouve dans les livres, est ici exploitée pour faire une caricature grossière des systèmes totalitaires.
Trop peu souvent le gros nounours Ernest, tendre comme pas deux dans les livres, retrouve cette connivence avec sa Célestine. Au contraire, nous l'avons vu bougon, en colère, sans entrain, ...
Au final un film qui ne vend vraiment pas du rêve.

Keepcool
17/12/2022 à 19:44

L'analyse antifa que vous faites est peut-être un peu rapide : elle correspond en réalité à tous les régimes autoritaires et pas seulement à ceux d'ultra-droite (n'oublions pas que quelque que soit l'extrême, ils ne sont pas souhaitables)

Joey Joe Joe Junior Shabadoo
16/12/2022 à 14:39

Le premier est dans mon top des films d'animation.

J'irai certainement voir cette suite avec les enfants <3

Tout comme pour spiderman (également dans mon top), je n'attends jamais que la suite surpasse le premier (impossible car l'effet de surprise n'y est plus), mais je suis quasi assuré de passer un bon moment.

Eusebio
16/12/2022 à 10:04

Le premier film est en effet un vrai petit bijou. J'ai pu le revoir il y a quelques jours en ciné-concert à Bordeaux, une vraie pépite, un régal d'entendre 900 gamins rire devant les pitreries du duo, et ne plus entendre un bruit dans les moments les plus touchants. J'irai voir celui-ci pour le plaisir de les retrouver quand même, sans en attendre donc des retrouvailles aussi touchantes !

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