Les Bonnes Etoiles : critique au firmament

Mathieu Jaborska | 7 décembre 2022 - MAJ : 07/12/2022 18:09
Mathieu Jaborska | 7 décembre 2022 - MAJ : 07/12/2022 18:09

Hirokazu Kore-eda est un habitué des festivals dits prestigieux, comme le TIFFF ou bien évidemment Cannes, où il est régulièrement invité et dont il a remporté la récompense suprême, la Palme d'or, en 2018. Quatre ans après le magnifique Une affaire de famille, il est revenu sur la croisette en vétéran, avec un film plus tendre encore, Les Bonnes Etoiles. Ce qui n'a pas pour autant empêché le grand Song Kang-ho de remporter le Prix d'interprétation masculine.

Family Man

L'acteur émérite, figure indissociable de la nouvelle vague coréenne puisqu'il est apparu dans une grande partie des filmographies de Park Chan-wook et Bong Joon-ho, a décroché son prix à la surprise générale. En effet, non seulement la compétition cannoise de l'édition 2022 regorgeait de performances dantesques (dont celles de Benoît Magimel dans le planant Pacifiction ou de l'âne dans EO), mais Les Bonnes Etoiles tire sa puissance émotionnelle, comme d'habitude chez Kore-eda, de sa distribution d'ensemble, parfaitement dirigée.

Les détracteurs du cinéaste (et il y en a à la rédaction) en font le syndrome d'une incapacité à se renouveler, ses défenseurs la marque d'un auteur attaché à l'humanité de ses personnages : Les Bonnes étoiles est une fois de plus une variation sur le même modèle, celui de la chronique familiale maladroite, dont le metteur en scène est désormais un maître absolu. La délocalisation en Corée (une première), dans le sillage de l'escapade française La Vérité (2019), ainsi donc que la présence du comédien chouchou des amateurs de polars, lui permet, une fois de plus, de réarranger la formule, et pas uniquement pour le plaisir de l'exercice de style.

 

Les Bonnes étoiles : Photo Lee Ji-eun, Dong-won Kang, Song Kang-hoDes accords illégaux... mais pas beaucoup de courses-poursuites

 

Comme les illustres Catherine Deneuve, Juliette Binoche et Ethan Hawke recomposaient littéralement une famille à partir des industries cinématographiques françaises et américaines, Song Kang-ho et la chanteuse IU se voient dépossédés de leur statut de vedettes pour faire partie intégrante d'une fragile communauté complétée par le tout aussi excellent Gang Dongwon (vu dans Peninsula et Illang), pendant que Doona Bae (la protégée des Wachowski) et Lee Joo-young les surveillent.

Le détective cynique de Memories of Murder devient un papa de substitution, l'icône pop révèle sa fragilité. Et ensemble, ces pauvres hères apprennent à adapter leur individualité à la vie de famille, au nez et à la barbe de l'institution, symbolisée par une présence policière désemparée par les liens qui se tissent devant leurs mouchards. Et au fur et à mesure que le star-system se dissout dans leur alchimie naissante, à grands coups d'instants de grâce un brin caricaturaux, le cinéaste croque sa vision de la famille : un enchevêtrement de concessions, d'intérêts et de tâtonnements qui finissent par révéler le meilleur de personnalités troublées.

Car il est quand même question d'un trafic d'enfant perturbé par une mère démissionnaire. En nous immergeant deux heures durant (une fois de plus, la durée est importante) dans cette petite troupe, Kore-eda invite à dépasser les préjugés sociaux, à sortir de cette satanée voiture de police pour constater la singularité du regroupement familial et sa beauté secrète, fût-elle légalement répréhensible.

 

Broker : Photo Song Kang-hoPapa poule

 

Anti-Stars

Une ambiance très feel-good, qui fait probablement des Bonnes Etoiles l'une des oeuvres les plus accessibles de son réalisateur. Une affaire de famille, marqué du sceau (infamant aux yeux d'une partie du grand public) de la Palme d'Or, était déjà un bel accomplissement émotionnel et universel. Mais ce dernier film, grâce à une photographie claire, l'investissement de son casting, un ton très chaleureux et de régulières touches d'humour, est encore plus lumineux.

La formule de Kore-eda avait déjà été déclinée avec une certaine radicalité, notamment dans son impressionnant Nobody Knows, qui la poussait dans ses extrêmes temporels et narratifs. Il s'attaque désormais à un versant plus léger de son sujet, aérant d'ailleurs aussi sa mise en scène, d'abord  fixée parmi les fils électriques urbains, puis plus frivole, voire parfois chancelante. Ces quelques concessions au drame populaire plein de bons sentiments pourraient paraître mineures, voire embrigader le cinéaste dans une caractérisation plus consensuelle, s'il n'en profitait pas pour retourner complètement les préceptes du divertissement académique.

 

Les Bonnes étoiles : Photo Lee Ji-eun, Lee Joo-youngUne relation passionnante

 

À bien des égards, Les Bonnes étoiles semble se réapproprier les codes du cinéma hollywoodien. L'aventure de son équipe de bras cassés quitte le foyer chaotique que le metteur en scène aimait filmer. Elle tient plus du road movie américain que du voyage à la Ozu. Quant au climax, il est remplacé par une longue discussion émue dans une grande roue, sauf que la caméra reste rivée à l'intérieur de la cabine et ne s'occupe guère du paysage. Quant aux personnages, ils dialoguent sans même se regarder. Le long-métrage a beau reprendre des poncifs, il les destitue de leur potentiel spectaculaire pour mieux scruter les relations de cette petite famille en construction.

Et c'est justement lorsqu'il nous prend à revers que Les Bonnes étoiles se révèle le plus touchant. C'est quand il se concentre sur son petit groupe de personnages au mépris de ce que la norme cinématographique et sociale voudrait en faire, qu'il prend par les sentiments, jusqu'à un épilogue magnifique qui vient parachever tout ce qui a été accompli jusque là. Tandis que les blockbusters prônent de plus belle, à tort et à travers, leurs valeurs familiales qui sentent le renfermé, à son échelle, Hirokazu Kore-eda leur oppose sa vision de la famille : un refuge éphémère pour les laissés pour compte.

 

Les Bonnes étoiles : Affiche française

Résumé

La nouvelle chronique chorale de Kore-eda se pare d'atours plus légers pour réaffirmer avec la même force et la même nuance sa vision de la famille, la plus belle proposée pour le moment par le cinéma grand public.

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commentaires
LeRoiBoo
21/01/2023 à 13:27

Le scénario est bon, les acteurs sont bons, la musique est bonne.
Mais il manque un vrai souffle et du rythme au film, c'est trop long et lent.
1/2 h en moins et un montage plus nerveux aurait été de meilleur qualité.
Et la fin trop vite expédié.

Sinon, clairement voir autant de film asiatique en ce moment, de qualité et qui ne sont pas des films d'actions. Et une vrai retournement des cinémas français qui avaient un regard bien pourri sur l'asie.
Exception faite des réalisateurs à Palme ou à Oscar

SB
22/12/2022 à 16:26

Mon film favori de l'année 2020 était Parasite et maintenant c'est Les bonnes étoiles...
Hasard ?
Je ne pense pas.

Camille
22/12/2022 à 10:41

Ca fait du bien de voir un film asiatique, c'est tellement different des films americains (pas de flingues, pas de politiquement correct).

Eusebio
07/12/2022 à 19:32

Un cinéma tellement sensible... Je ne savais pas que ce nouveau film sortait cette semaine, je vais checker s'il passe par chez moi ! Tellement dommage que ces films soient aussi mal distribués...

LOV
07/12/2022 à 19:06

N'etant pas specialiste, le film "les bonnes etoiles" aurait merite la palme d'or, au final peut importe, c'est cet acteur Coreen qui l'a eue, il aurait pu l'obtenir egalement au travers de Parasite...
Film a la fois sociologique et hautement poetique, la touche japonaise et les acteurs Coreens en font un chef d'oeuvre.
Ces acteurs sont tres bons, la jeune actrice Coreenne est d'une sensualite extreme.
Une merveille de film.

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