Samhain : critique des démons d'Halloween

Judith Beauvallet | 7 décembre 2022
Judith Beauvallet | 7 décembre 2022

Avec Samhain, la scénariste et réalisatrice irlandaise Kate Dolan livre son premier long-métrage. S’inspirant du folklore de son pays natal, elle y raconte l’histoire de Charlotte, une adolescente victime de harcèlement scolaire qui fait également face à la dépression de sa mère. Mais… et si cette dépression était plus qu’une dépression, comme semble le suggérer la grand-mère de Charlotte ? Bienvenue dans l’univers des changelings, ces créatures légendaires qui prennent secrètement la place d’un membre de votre famille sans même que vous le sachiez.

TRICK OR TREAT

Malgré la modestie de ses moyens et la simplicité apparente de son scénario, Samhain (prononcé « sah-win ») se démarque habilement de ses petits camarades de série B. La manière dont le folklore irlandais imprègne son intrigue lui donne une couleur particulière, autre que le vert de la Saint Patrick, qui est à peu près tout ce qu’on connaît de la culture irlandaise par chez nous.

Kate Dolan s'inspire notamment ici de la légende des changelings, ces êtres mystérieux qui prennent l’apparence d’un membre de votre famille enlevé par les fées, pour ne pas que vous remarquiez sa disparition. Jusqu’au XIXe siècle encore, certaines personnes en arrivaient à maltraiter (si ce n’est assassiner) un enfant ou un proche qu’ils pensaient être un changeling, dans l’espoir que ça leur rendrait l’être soi-disant perdu. Cette pratique a sûrement pris fin quand les gens ont fini par admettre que toute cette mascarade ne consistait finalement qu’à buter des gens. Les traditions se perdent, que voulez-vous.

 

Samhain : photo, Hazel DoupeHome Sweet Home

 

Toujours est-il que c’est l’ancrage de ces traditions, dont le spectre plane encore en Irlande, que le film met en lumière. De nos jours, la fête de Samhain, qui célèbre l’arrivée du mois de novembre et de l’hiver, se superpose avec Halloween. Les deux célébrations ont lieu au même moment et portent la même idée qu’à la nuit du 31 octobre : la frontière d’avec le monde des esprits est plus fine que jamais, faisant de la fête la meilleure occasion de serrer la paluche d’un fantôme ou d’un démon. Samhain a l’intelligence de vouloir parler de cette tradition sans tomber dans l’imagerie un peu facile des citrouilles creusées et des fausses toiles d’araignée accrochées aux portes des maisons.

Il y en a quand même, hein, parce qu’on aime ça, mais finalement très peu pour un film dont le titre est l’autre nom d’Halloween. Il s’agit davantage, ici, de revenir aux racines des légendes qui ont pu donner naissance à de telles traditions : expliquer ce que signifie réellement de porter un « masque », de se faire passer pour une autre personne, et la manière dont une famille peut en être bouleversée.

 

Samhain : Photo Carolyn BrackenDilemme : couper une citrouille ou sa fille

 

MIROIR MIROIR

Sans beaucoup d’originalité mais avec intelligence, la mise en scène joue avec les miroirs, l’obscurité et les embrasures de portes pour représenter la subjectivité des points de vue et les biais des personnages. C’est dans ce cadre propice qu’apparaît l’entité maléfique, au design aussi simple qu’efficace. On salue ce maquillage capable d’engendrer quelques nuits blanches à lui tout seul. Et dans tous ces effets, l’économie de moyens est toujours présente, mais jamais dérangeante.

Par l’utilisation de la musique et de quelques flashbacks, le film parvient à mettre en scène toute la puissance de l’invocation des souvenirs et le pouvoir de la pensée. Chose pas facile, parce qu’on rappelle que s’il existe un procédé de narration souvent pauvre et maladroit au cinéma, c’est bien le flashback. Mais avec toujours beaucoup de simplicité et d’évidence, Kate Dolan parvient à tirer le meilleur des techniques qu’elle utilise.

Il en va de même pour son casting : Hazel Doupe, qui incarne le personnage relativement mutique de la jeune Charlotte, fait des merveilles avec peu de mots et un naturel confondant. Un personnage d’autant plus complexe qu’il cache nombre de conflits intérieurs sous son innocence, des conflits plus larges que ce qu’on pourrait penser à première vue.

 

Samhain : photoLes câlins de l'angoisse

 

CERCUEIL ET PRÉJUGÉS

Car le mythe du changeling n’est pas, en réalité, le réel sujet de Samhain. Bien plus que de vous faire trembler en vous parlant de leprechauns et autres petits êtres des bois, le film utilise le folklore comme un prisme pour traiter de la dépression, de ses effets, et surtout des dangers qu’il y a à ne pas la prendre au sérieux. On y parle aussi du harcèlement scolaire, et de la difficulté d’y faire face à l’adolescence. Le film aborde plus ou moins discrètement beaucoup de problèmes de société et dépeint avec habileté ce que peut être la vie en Irlande, une fois qu’on est sorti des rues de Dublin et des clichés à base de trèfles à quatre feuilles.

 

Samhain : photo, Hazel DoupeIrish Depression

Charlotte ne doit pas seulement faire face à la dépression ou à la transformation de sa mère. Elle subit avant tout le poids des croyances et des traditions qui vont avec, mais ça, elle en a à peine conscience. Sa mère est-elle réellement un changeling, ou la menace vient-elle en réalité de sa grand-mère, qui préfère « soigner » sa fille en lui consacrant des talismans et en lui conseillant de ne pas prendre de médicaments ? Sous couvert de son intrigue horrifique, Samhain tient un discours plus effrayant encore sur les conséquences de l’obscurantisme, et la manière dont les jeunes se retrouvent bridés ou mis en danger à cause du traditionalisme de leurs parents.

Un aspect d’autant plus pertinent quand on sait que Kate Dolan appartient à la communauté queer, et que le personnage de Charlotte se rapproche intimement de son amie Suzanne au cours du film. Si le film lui-même s’en tient aux sujets de la dépression, du harcèlement et de la légende des changelings, il est clair que son sous-texte s’adresse à tout un système de pensée qui refuse d’accorder une considération véritable aux personnes qui en ont besoin, et qui préfère combattre ce qu’elle ne comprend pas par des croyances infondées. En somme, Kate Dolan montre avec autant de modestie que de brio la manière dont les traditions peuvent être aussi intrigantes que mortifères.

 

Samhain : Affiche française

Résumé

Un premier long-métrage plus intelligent et profond que pourrait le laisser penser son aspect de petit film d’horreur anecdotique. De la série B façon « elevated », qui porte un regard malin et cruel sur les vices cachés du folklore irlandais.

Autre avis Geoffrey Crété
Samhain traîne un peu trop des pieds pour véritablement tirer profit de ses personnages torturés et sa créature mélancolique. Le film se piège ainsi dans une posture beaucoup trop classique, qui finit par éteindre tous les feux allumés par le cauchemar.
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Lecteurs

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commentaires
????
04/01/2023 à 08:37

«Dilemme, couper une citrouille ou sa fille », hahahaha... Encore bravo. Et merci.

Pierre_Oh
07/12/2022 à 21:57

Vu à la reprise de Gerardmer à la Cinémathèque en début d'année. Sans crier au chef d'oeuvre, je trouve que c'est un vrai bon film.

Tonton
07/12/2022 à 12:39

Plutôt bien apprécié ce petit film sans prétention mais qui reste bien en tête

Anderton
07/12/2022 à 11:08

Une série à découvrir qui s'appuie en partie sur ce folklore : Katla. Série islandaise, dispo sur Netflix, assez sympa.

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