Bones and All : critique qui laisse sur sa faim

Axelle Vacher | 23 novembre 2022 - MAJ : 23/11/2022 18:21
Axelle Vacher | 23 novembre 2022 - MAJ : 23/11/2022 18:21

Près de six ans après le drame romantique Call Me by Your Name, Luca Guadagnino retrouve sa muse Timothée Chalamet pour Bones and All. Présenté en compétition à la 74e édition de la Mostra de Venise où le cinéaste a été récompensé du Lion d'argent du meilleur réalisateur et sa jeune comédienne Taylor Russell du Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir, ce nouveau métrage adapté du roman éponyme de Camille DeAngelis propose une chronique intime sur fond de désirs anthropophages. Mais l'offre-t-il vraiment ?

À la vie, à la mort

Cinéaste d'une intimité perpétuellement éclaboussée d'un soleil aride, Luca Guadagnino sous-tend à travers son oeuvre des inclinaisons singulièrement voraces. Adepte de l'exercice du remake ou encore de l'adaptation, le cinéaste italien dévore et prend soin de longuement mastiquer les récits pour mieux les modeler à son image. Avec une attention au détail méticuleuse et une sensibilité profonde pour les retors humains, ce dernier multiplie alors les discours relatifs aux aléas du désir et autres questionnements identitaires propres à l'inéluctable passage du temps.

Par le prisme de ce nouveau métrage, Guadagnino réemploie ces mêmes thématiques en vue d'en explorer un versant plus obscur. Un parti-pris surprenant pour les adeptes du poétique Call Me by Your Name qui trouve malgré tout son fondement dans la cinéphilie du cinéaste, ainsi que sa réadaptation du Suspiria de Dario Argento en 2018. Cet adorateur de Friedkin et Carpenter est donc loin d'être étranger au genre horrifique, dont il écule par ailleurs clandestinement les codes au sein de sa filmographie.

 

Bones and All : photo, Taylor RussellLady Bird a vrillé

 

Cette tendance à l'hybridation se retrouve ainsi au coeur de Bones and All. À la croisée de multiples identités, empruntant simultanément au film de genre, au road trip, à la romance ou encore au coming of age, la volonté première du récit s'attache davantage à retracer le parcours initiatique de deux individus contraint d'évoluer en marge de la société qu'à révulser le spectateur. La volonté du cinéaste est ainsi largement rendue intelligible : en brouillant les genres, ce dernier cherche à faire valoir un contraste séduisant entre la nature et le traitement de son sujet.  

La violence des pulsions cannibales que se partagent Maren (superbement interprétée par la jeune Taylor Russell) et Lee (Timothée Chalamet, impeccable) se heurte alors à la tendresse évidente avec laquelle la caméra de Guadagnino accompagne ces derniers. Les deux personnages oscillent alors entre le besoin de consommer et de se consommer, en proie à cet appétit indomptable qu'ils embrassent et fuient par intermittence.

 

Bones and All : photo, Timothée Chalamet, Taylor RussellCall Me by Your Cannibal Holocaust

 

"Ceci est mon corps, ceci est mon sang"

L'appétence de chair humaine dont fait état le film peut s'appréhender selon plusieurs grilles de lectures. Allégorie queer renforcée par la figuration de personnages marginaux au sein d'un cadre spatio-temporel bien précis (soit, une Amérique provinciale en pleine crise du sida sous le régime peu conciliant de Ronald Reagan), figuration des conflits intergénérationnels, ou encore revisite du film de vampire, les interprétations sont légion.

À l'instar de la métaphore proposée dans le savoureux Grave de Julia Ducournau, il est également possible de juxtaposer le cannibalisme aux bouleversements induits par le passage à l'âge adulte et à la découverte de la sexualité. L'abandon soudain de Maren par son père et la nécessité subséquente de partir à la rencontre d'une mère qu'elle n'a jamais connue sont autant d'éléments pouvant encourager le spectateur à traduire la démarche du personnage comme une recherche identitaire en période transitoire.

 

Bones and All : photo, Timothée ChalametÊtre...

 

Les multiples images que peuvent évoquer les tendances anthropophages de Maren comptent toutefois moins que les tribulations intimes des deux protagonistes. Grignotages de mamies à part, Bones and All est avant tout le récit de deux individus en quête d'un autre auquel s'identifier. Le personnage de Taylor Russel s'efforce ainsi de découvrir ses racines tandis que celui de Chalamet, qui fuit désespérément les siennes, voit dans son périple une issue à sa solitude.

Leur virée routière et le mouvement perpétuel que sous-tend Guadagnino semblent ainsi plus réminiscents de La Balade sauvage de Terrence Malick qu'une odyssée relative à Hannibal Lecter. Sans aller jusqu'à prétendre que le métrage soit totalement dépourvu de séquences cannibales, la véritable faim dépeinte par le cinéaste se rapporte davantage au besoin dévorant de contact intersubjectif qu'à l'envie de manger les doigts de sa voisine. De fait, s'il fallait porter l'allégorie à son paroxysme, la réalisation de la romance entre les deux personnages peut se concevoir comme l'aboutissement anthropophage auquel le récit prétend donner la part belle.

 

Bones and All : photo, Taylor Russell... ou ne pas être

 

Digestion difficile

La négligence de Guadagnino à réellement adresser un récit organique condamne cependant son métrage à souffrir moult lacunes narratives, jusqu'à friser le superficiel. Les différents attributs propres aux mangeurs ne sont par exemple jamais explorés par le cinéaste, pas plus que les codes qui semblent les régir. Ces diverses problématiques sont pourtant amenées par le film à plus d'une reprise, mais ce dernier semble plutôt disposé à se complaire dans la figuration qu'à se soucier d'approfondir sa diégèse.

Pourquoi les mangeurs sont-ils en capacité de se reconnaître les uns les autres par l'odorat ? Ces derniers appartiennent-ils à une espèce humanoïde distincte, comme le sont les vampires ou encore les loups-garous ? Sont-ils une sous-espèce de l'Homme à la manière des mutants de l'univers Marvel ? La transmission de ces pulsions s'opérant manifestement de façon héréditaire, sont-elles plus simplement dues à une pathologie génétique ? Autant de questionnements auxquels Bones and All, tristement, ne se donnera pas la peine d'éclaircir. 

 

Bones and All : photo, Timothée ChalametLe Chala-mullet est peut-être l'unique question digne d'être posée

 

Certes, la sauvegarde du mystère n'est pas un défaut en soi, et l'est encore moins dans le cas du registre horrifique. Le métrage ne pouvant toutefois réellement prétendre à cette appellation, la nébulosité autour des mangeurs enraye le processus d'identification du spectateur aux personnages, et l'empêche de se projeter réellement dans leur histoire. Ce dernier regardera donc d'un oeil impassible la relation entre Maren et Lee grandir maladroitement, ressenti aux antipodes de l'investissement émotionnel que suscitaient par exemple Elio et Oliver de Call Me by Your Name.

Du reste, le spectateur ne se sentira pas beaucoup plus convaincu par les personnages secondaires, si unidimensionnels qu'ils frôlent l'insignifiance. Seul le personnage auquel Mark Rylance prête (savamment) ses traits, Sully, se démarque péniblement de ce constat fatigué, avant d'être promptement relégué au banal statut d'antagoniste obsessionnel. 

 

Bones and All : photo, Taylor Russell, Mark RylanceChic type

 

L'anesthésie émotionnelle que fomente le métrage est d'autant plus regrettable que les deux acteurs principaux exécutent très sensiblement leurs partitions respectives. Les dimensions esthétiques et sonores témoignent également d'un objet soigneusement aboutit par le cinéaste (en témoigne une séquence "de table" ou toute l'action, hors-champ, parvient viscéralement au spectateur par le son).

Ainsi, Guadagnino a peut-être cherché à subvertir l'horreur de son sujet en y privilégiant un accent romantique, mais, ce faisant, semble être passé à côté de quelque chose. Loin d'être l'expérience crue et organique promise, Bones and All se consomme donc plutôt comme un plat joliment dressé, mais trop fade en bouche.

 

Bones and All : affiche

Résumé

Avec Bones and All, Luca Guadagnino propose au spectateur l'équivalent d'une savoureuse assiette prise en photo pour Instagram : c'est très joli, très appétissant, mais c'est trop lisse et surtout, ça ne se mange pas.

Autre avis Alexandre Janowiak
Souvent poussif et boiteux, Bones & All transporte malgré tout grâce à son road trip initiatique, son univers déroutant, sa romance gore radicale et surtout sa jeune comédienne Taylor Russell.
Autre avis Geoffrey Crété
Après un démarrage envoûtant et puissant, Bones and All se perd dans les méandres d'une romance plate et interminable. Dommage pour ce Cannibal Lovocaust et son univers riche, construit autour de l'excellente Taylor Russell.
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commentaires
????
14/12/2022 à 19:31

« Grignotage de mamies mis à part », « le Chala-mulet est peut-être l unique question digne d être posée »…
Hahahahaha…magnifique.

Vosgien
03/12/2022 à 10:39

J'adorerais que tous les gens qui commentent dirigent un film un jour, juste histoire de voir comment ils feraient un film irréprochable.

Sanchez
30/11/2022 à 12:10

Complètement d’accord avec le résumé critique . C’est beau, on se fait doucement chier sans que ce soit désagréable et on oublie fissa tant on reste éloigné d’une quelconque émotion.

Rirififiloulou
23/11/2022 à 18:01

Moi j'ai l'impression que c'est chiant à mourir !!

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