Le Menu : critique du Top Chef des enfers

Geoffrey Fouillet | 22 novembre 2022 - MAJ : 22/11/2022 20:01
Geoffrey Fouillet | 22 novembre 2022 - MAJ : 22/11/2022 20:01

Issu de la célèbre Black List hollywoodienne, qui recense les meilleurs scénarios en attente de financement, Le Menu trouve finalement preneurs après une première tentative avortée avec Alexander Payne à la réalisation et Emma Stone dans le rôle principal. C'est donc Mark Mylod, connu pour avoir fait ses armes sur Ali G (oui, il faut bien commencer quelque part), et Anya Taylor-Joy qui les remplacent, rejoignant Ralph Fiennes, attaché depuis le début au projet, et Adam McKay à la production. La recette concoctée est-elle pour autant à la hauteur des promesses ?

ON NE MANGE PAS, ON SAVOURE

On ne compte plus le nombre d'îles inhospitalières dans l'Histoire du Cinéma. Battle Royale, Shutter Island ou plus lointainement Les Chasses du comte Zaroff, ont déjà prouvé entre autres exemples à quel point l'horreur insulaire pouvait être source de fascination. Le Menu se lance le défi de prolonger à son tour cette mouvance en suivant une poignée de personnalités influentes, sélectionnées pour dîner dans un restaurant très réputé sur une île déserte. Le chef cuisinier Slowik (Ralph Fiennes, génialement sournois) repère vite parmi les convives une invitée indésirable, Margot (Anya Taylor-Joy, égale à elle-même, c'est-à-dire merveilleuse), venue à cette dégustation sur l'insistance de son petit ami Tyler (Nicholas Hoult).

Mettre les petits plats dans les grands est donc autant l'objectif du Chef Slowik que du réalisateur qui, afin d'honorer l'exigence et à la qualité de l'art culinaire, s'est entouré de la cheffe cuisinière française Dominique Crenn, célèbre pour être la première femme triplement étoilée de la profession aux États-Unis. Grâce à sa collaboration, le milieu très spécifique de la haute gastronomie paraît plus authentique que jamais à l'écran. Malgré tout, le film se plaît à y insuffler une dimension quasi-surréaliste, entre le menu lui-même à base de cuisine moléculaire filmée via des plans très stylisés, voire abstraits, et la discipline de fer qui règne en cuisine, avec une brigade soumise à la volonté du chef comme si elle était un prolongement de sa psyché.

 

Le Menu : photo, Ralph Fiennes"À mon commandement... mijotez !"

 

"Nous ne sommes qu'une nano-seconde terrifiée. La Nature, elle, est intemporelle", explique Slowik à ses clients privilégiés. Il s'agit alors d'apprécier chaque bouchée, chaque gorgée, la beauté de l'expérience tenant à son caractère éphémère. Une idée intéressante que le film dilue peut-être un peu trop au départ, étirant de façon laborieuse un même schéma, les convives se délectant de la moindre petite saveur sans en tirer d'enseignements psychologiques particuliers. D'où le sentiment d'assister à un spectacle légèrement vain, la forme l'emportant sur le fond (et c'est en réalité le vrai propos du film).

En s'attachant à la nourriture comme à une œuvre d'art, Le Menu fait de chaque plat – de l'amuse-bouche au dessert – le nouveau chapitre d'une histoire plus vaste, dans laquelle les personnages se racontent eux-mêmes à travers les mets qu'ils dégustent. On parle alors autant de storytelling, ce principe purement marketing censé éveiller l'intérêt du consommateur pour un produit, que de récits-vérité, amenant les principaux concernés à se dévoiler au grand jour. Et c'est ce cheminement d'un concept fabriqué, fondé sur l'hypocrisie, vers une pensée plus profonde et intime qui nourrit l'intrigue. Il faut à ce titre mentionner cette scène géniale où les clients voient certains de leurs secrets imprimés sur des tortillas.

 

Le Menu : photo, Anya Taylor-Joy, Nicholas HoultJusqu'à ce qu'un dîner les sépare

 

LA FAIM JUSTIFIE LES MOYENS

Si Le Menu ne manque pas de piquant, c'est notamment grâce à son appétit féroce pour la satire sociale façon "peinture au vitriol de la bourgeoisie", à l'instar de productions récentes telles que Succession du côté de la télévision et Sans filtre du côté du cinéma. En prenant à revers le fameux adage "le client est roi", le film déploie une logique de l'humiliation qui va grandissant. Les convives ont beau être la crème de la crème dans leur domaine, quoiqu'ils n'ont pas vraiment à s'enorgueillir de leur pedigree (le personnage joué par John Leguizamo en est une excellente illustration), tous demeurent à la merci du Chef Slowik et de sa brigade.

Et il est plutôt habile d'avoir fait des travailleurs, les dominants, et des financeurs, les dominés. Une bascule hiérarchique qui se traduit là encore à travers la nourriture, la présentation des plats étant assortie d'appellations savantes à même de dérouter le plus fin connaisseur. La caricature des bourgeois et influenceurs atteint parfois des sommets, et cela ne sera pas du goût de tout le monde, mais c'est dans ces instants-là que le film touche juste. Lorsque les convives se persuadent qu'une assiette uniquement garnie de condiments est un symbole suprême de raffinement, on croit frôler l'absurdité la plus totale, tout en mettant le doigt sur ce qui les caractérise viscéralement : leur impossibilité à accepter le fait d'être ridiculisés.

 

Le Menu : photo, Ralph FiennesVoldemort et sa clique de mangemorts

 

Dans une interview donnée au site Collider, Mark Mylod déclarait à propos du film : "J'ai réalisé à quel point mon palais n'était pas aiguisé, et c'est pourquoi Margot a été ma porte d'entrée dans ce scénario". Comme le réalisateur donc, Margot débarque sur cette île sans rien connaître des usages et spécialités en gastronomie. Elle est l'anomalie dans cette grande cuisine incarnée par Slowik, et c'est justement le duel entre ces deux personnages, que tout oppose à priori, qui maintient un suspense latent du début à la fin. Hélas, on aurait aimé que leurs interactions soient plus cathartiques encore.

De leur confrontation, le film érige la valeur sentimentale comme ingrédient nécessaire à toute préparation culinaire qui se respecte. Le propos pourrait paraître un peu naïf, et rappeler plus ou moins celui de Ratatouille, mais c'est en définitive la cerise sur le gâteau, le cœur émotionnel d'un récit qui pédale autrement souvent dans la semoule. Reste que ce dîner mondain a quelque chose de spectaculaire, jusque dans son climax final où la performance artistique est poussée dans ses derniers retranchements. Une dimension grand-guignolesque qui limite à la fois le film à la farce horrifique et l'ouvre paradoxalement à la tragédie. Seulement, avec un meilleur dosage, Le Menu aurait été un régal de bout en bout.

  

Le Menu : photo

Résumé

À défaut de rassasier le spectateur en matière d'enjeux ou de conflits, Le Menu a le mérite de soigner sa carte sur le plan esthétique et de compter sur le talent de Ralph Fiennes en chef cuisinier vénéneux à souhait. Un thriller culinaire servi aux petits oignons, mais sans grande ambition.

Autre avis Antoine Desrues
Faux film de petit malin mais vrai film de boomer, Le Menu ne sait pas vraiment ce qu'il veut raconter au travers de ce restaurant censé métaphoriser tout une tranche de la société (si si, t'as vu, c'est très profond...). C'est politiquement simpliste, en plus d'être très tiède dans l'application de son concept pourtant alléchant.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.8)

Votre note ?

commentaires
steve
18/09/2023 à 16:07

En accord avec la critique, bon mais pas assez relevé.

Rico
17/09/2023 à 22:19

Nul de bout en bout, le film ne va nul part car son réalisateur n’a aucune idée de la direction a donné à ce film pathétique. Jamais angoissant, faussement choquant…ça aurait pu être rattrapé par des jeux d’acteurs truculents mais ils sont tous d’une tristesse infinie, la palme revenant à Hoult qui a l’air désarmé de rajouter cette fadasserie à sa drôle de non-carrière.

TofVW
27/05/2023 à 23:08

Incroyable que personne, parmi les 3 jeunes + le personnage de John Leguizamo, n'ait eu la présence d'esprit d'aller briser la nuque de Slowik par surprise.
Pendant tout le film, les convives s'énervent, se lèvent et apostrophent le chef sans que ses subalternes ne réagissent. Le prendre par surprise aurait été à la portée de n'importe qui en pleine possession de ses moyens. Surtout qu'ils complotent de se rebeller 3 ou 4 fois.
Ce manque de logique m'a sorti du film.

soopabamak
06/01/2023 à 21:27

Perso j'ai kiffé ! C'était fabuleusement caustique, sarcastique. Certes, des incohérences, mais
savoureusement diabolique. 9/10

Dr.ik
10/12/2022 à 00:55

Belle idée de départ, intriguant de bout en bout, mais finalement assez simple. J ai été pris dans le film, grâce à l ambiance et même si je suis pas un fin connaisseur, par le côté très travaillé, inventif et en même temps foutage de tronche des plats cuisinés. J ai aussi bien rit par moment! Grâce au comportement du chef et aux incursions expliquant les plats. Film corrosif, cynique mais qui aurait pu effectivement aller encore plus loin. Mais au final, c est un parti pris, et la fin va de sois. Pas de gros retournement, pas d apothéose mais un final qui va bien avec le reste du film.

jorgio6924
27/11/2022 à 16:39

J'ai du mal à trouver ma position vis à vis de ce film.
Je ressens le malaise envers ces individus contraints de participer à ce dîner alors que je devrai en rire.
J'ose à peine imaginer ce que Tarantino aurait fait de ce scénario.

Deny
22/11/2022 à 17:57

Affiche horrible!

Julian
22/11/2022 à 17:13

Une véritable catastrophe industrielle, ce film sans saveur ni odeur n'a rien à dire ni rien à montrer à part l'absurdité stupide de son scénario pathétique et il n'en résulte qu'une indigestion pour le spectateur naïf qui a cru qu'il allait voir un film qu'il allait savourer.

Erratum
22/11/2022 à 16:44

Dominique Crenn est la première femme triplement étoilée, des États Unis.

Oups
22/11/2022 à 15:46

On dirait que M. Desrues est piqué au vif... Se serait-il reconnu dans l'un (ou plusieurs) des convives moqués ?

votre commentaire