Ram Setu : critique d'un Indiana Jones en mode propagande

Clément Costa | 1 novembre 2022
Clément Costa | 1 novembre 2022

Avec la promesse d’être une rencontre folle entre Indiana Jones et un polar à la Dan Brown, Ram Setu avait tout pour être un honnête divertissement. C’était sans compter sur l’acteur Akshay Kumar et sa passion pour un cinéma de propagande bas de gamme.

NATIONAL TREASURE

S’il y a bien un genre qui n’est que trop mal représenté et exploité ces vingt dernières années, c’est bien le film d’aventures. Les enfants des années 80 et 90 ont grandi des étoiles plein les yeux devant Les Goonies, Indiana Jones, À la poursuite du diamant vert ou encore La Momie. Les enfants des années 2000 n’ont plus rien à se mettre sous la dent depuis que Nicolas Cage a volé la déclaration d’indépendance des États-Unis. C’est donc toujours avec une certaine excitation et une envie d’être transportés qu’on accueille un nouveau film d’aventures.

Et c’est logiquement avec ce même enthousiasme que l’on voulait croire en Ram Setu, un film d’aventures indien réalisé par Abhishek Sharma. Sur papier, le film voulait être une sorte de Benjamin Gates pas très malin mais divertissant, mêlé au polar spirituel-conspirationniste à la Dan Brown. Et la séquence d’ouverture confirme bien cette ambition en nous plongeant au cœur d’une attaque terroriste sur un camp archéologique, le tout menant à la découverte d’une immense statue de Bouddha. Sans crier au génie, l’efficacité est au rendez-vous.

 

Ram Setu : photoThe floor is scénario bien écrit

 

L’autre bonne idée du projet était de mêler la mythologie hindoue aux aventures des personnages. Tout le récit tourne ainsi autour du fameux "Pont d’Adam" (Ram Setu en VO), un isthme qui relie l’Inde au Sri Lanka. Comme l’a récemment prouvé le sympathiquement bancal Brahmāstra, mythologie et blockbuster peuvent s’entendre à merveille. Et lors des séquences menant au début de l’enquête, il faut bien avouer que Ram Setu fait illusion avec son ton jovialement décomplexé et son héros archéologue évoquant un Indiana Jones dégénéré.

Les seules réussites du film seront d’ailleurs les moments où Abhishek Sharma comprend l’absurdité de l’entreprise et se tient à son concept un peu bête mais divertissant. On citera par exemple l’exploration de la grotte au Sri Lanka menant à la découverte d’une mystérieuse porte. Malheureusement, le reste du récit n’a pas le même recul et perd totalement de vue sa mission de pur produit de pop culture.

 

Ram Setu : photoQuand l'aventure est enfin présente à l'écran

 

LA CROISADE DE TROP

Au-delà de quelques séquences décemment exécutées, Ram Setu est d’un amateurisme scandaleux pour une production de ce type. Habitué aux comédies sans ambition, Abhishek Sharma livre un long-métrage dont l’absence totale de mise en scène évoque une production Pure Flix version hindoue. Le montage n’a absolument aucun sens, ce qui rend presque toutes les scènes d’action totalement illisibles.

Et même les pistes épiques un peu criardes du compositeur Daniel B George ne suffisent pas à camoufler la médiocrité des dialogues. En interview, le réalisateur clamait haut et fort qu’il rêve de faire ce film depuis 2007. La preuve qu’on peut avoir de grands rêves sans une once de talent ou de vision artistique cohérente.

 

Ram Setu : photoQuand le public quitte la salle avant la fin

 

Mais la plus grande déroute technique se trouve certainement du côté des effets spéciaux. Avec un budget avoisinant les 20 millions de dollars, Ram Setu n’est clairement pas dans la ligue d’un RRR mais coûte tout de même plus cher que l’événement K.G.F : Chapter 2. Le résultat est une bouillie numérique digne d’une production Asylum. Avec les retards de tournage liés à la pandémie, l’équipe du film a été forcée de troquer effets pratiques contre le tout numérique. Ce qui ne suffit tout de même pas à expliquer totalement un rendu si lamentable.

Lors de quelques séquences particulièrement ratées, Ram Setu a la sympathie de basculer totalement vers le vrai nanar pur jus. On citera notamment deux séquences en hélicoptère qui touchent du doigt une divine médiocrité. Le film n’aura malheureusement pas la politesse d’assumer sa déroute au point d’être involontairement divertissant. Le résultat global est un long-métrage tiède et terne.

 

Ram Setu : photoTony Jones ou Indiana Stark ?

 

RAM IS NOT DEAD

En tête d’affiche du projet, on retrouve l’acteur Akshay Kumar. Ancienne gloire du cinéma d’action dans les années 90, il s’est depuis reconverti dans le cinéma de propagande à la gloire de Narendra Modi et de l’hindouisme. Même dans un pur récit d’aventures, il ne peut donc pas s’empêcher de retomber dans ses travers. Son personnage est un scientifique athée et progressiste ? Il va forcément devenir croyant en cours de récit et revenir vers des valeurs traditionnelles.

C’est particulièrement évident lors du dernier tiers du film. À ce moment-là, Ram Setu abandonne totalement la moindre envie de divertissement pour devenir un film de procès dont l’enjeu est de convaincre que l’isthme est bien une création divine. Un prosélytisme embarrassant qui va même devenir purement nauséabond lorsque le héros reproche au peuple de préserver le Taj Mahal malgré son héritage musulman.

 

Ram Setu : photoPlus c'est gros, plus ça passe

 

Fort heureusement, Ram Setu est trop stupide pour être réellement dangereux. L’écriture est bancale au point que le long-métrage se contredit en permanence. Sa morale pieuse ne tient pas la route alors qu’il nous montre en début de récit des extrémistes religieux agresser le héros et harceler son fils à l’école. Sa rédemption spirituelle laisse alors sans le vouloir un goût amer.

Au final, c’est un nouveau rendez-vous manqué pour l’acteur Akshay Kumar. Malhonnête, moralement crasse, le film reste à l’image de sa filmographie récente. On se serait contentés d’un Indiana Jones bas de gamme, on termine avec un sermon religieux plus que dispensable.

 

Ram Setu : photo

Résumé

Ni divertissant ni assez raté pour être amusant, Ram Setu est un projet hybride qui ne peut plaire à personne. La seule quête qui continue une fois ce plantage total terminé, c'est la chasse au nouveau grand film d'aventures.

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commentaires
Clément Costa - Rédaction
08/11/2022 à 10:41

Alors un avertissement du BJP ça ne veut pas dire que le film n'était pas taillé sur mesure pour plaire à l'électorat, comme à peu près 90% de la carrière d'Akshay depuis 2015. Le film brosse tellement l'extrême-droite hindoue dans le sens du poil que ça en devient comique. Ça ne serait pas la première fois que le BJP attaque un film sans le voir avant de réaliser qu'il a tout pour lui plaire...

Pour les autres films, mis à part Shamshera, on constate surtout une fatigue des remakes. Avec les confinements, l'offre de streaming a explosé et les plateformes ont poussé le public indien à voir la version originale. Il y a fort à parier que le modèle économique de refaire les films du Sud de l'Inde en hindi (ou inversement d'ailleurs) touche à sa fin.

Pour Brahmastra, Karan Johar avait annoncé d'entrée de jeu que son objectif était d'être très rentable sur le long terme de la trilogie, pas dès le 1er film. Pour une saga originale, avec un accueil presse très mitigé, dans un genre qui n'a que rarement marché en Inde lorsqu'il a été traité par une industrie locale, les +430 cr de total brut mondial restent un chiffre fou. Au final le total indien est bien devant Kashmir Files, et il s'agissait d'un film qui visait le public familial - cœur de cible chez qui le film a cartonné - pas un public militant. Dharma voulait une saga PAN-INDIA, le très bon score télougou pose des bases au potentiel colossal pour la suite.

Je suis prêt à parier beaucoup que 2023 va définitivement calmer cette paranoïa du boycott entre Pathaan, Jawan, Tiger 3, Animal, Dunki, etc. Avec un film comme Adipurush on risque d'être dans une logique différente, d'un côté le public ultra-religieux pourrait le sauver qu'importe la médiocrité (re-coucou Kashmir Files), de l'autre n'oublions pas qu'il s'agit d'une co-production entre plusieurs industries : hindi, télougou, avec un réal venant du cinéma marathi... En bref, un peu comme pour Liger, il serait absurde de blâmer Bollywood pour l'échec alors qu'il s'agit tout autant d'un Tollywood.

PonniyanSelvan
04/11/2022 à 11:07

@clement costa:
Akshay et la producteur de Ram Setu a eu un avertissement de la part du BJP pour détournement de la vraie histoire .
Shamsheera, Vikram Veda, Laal Singh Chaddha , Jersey autant de film plus que correct voir bon ont été des four en Inde ( enfin au nord)
Bhramastra , chiffre fou ? non , avec un budget aussi elevé ils s'attendaient surement à faire au moins autant qu'un Padmavaat ou un Sanju , résultat il rembourse à peine les frais . Ils peuvent dire merci au Sud et à l'international , au nord le résultat est décevant ( voir catastrophique dans les bastions du BJP). Ils sont derrière la bouse Kashmir Files ..
On verra avec Paathan ( et la future probable bouse de Prabhas encore celui ci pourrait marcher chez les gens du BJP)) si les années 2021-2022 étaient juste une anomalie pour bollywood ou une vraie désamour des indiens du nord pour les studio de bollywood sous l'influence de la BJP

Clément Costa - Rédaction
03/11/2022 à 08:06

@PonniyinSelvan : Je dirais justement que vu la médiocrité de Ram Setu, ça prouve surtout que les flops s'enchaînent à cause du contenu, pas du boycott. Le film était taillé sur mesure pour draguer l'électorat du BJP et ça n'a pas suffit... À l'inverse les chiffres fous de Brahmāstra ont prouvé que le boycott ne change rien du tout si le grand public adhère.
Je dirais que l'année a été très compliquée à Bollywood parce que les habitudes de consommation du public ont radicalement changé post-Covid, les fameux "films du milieu" n'attirent plus personne - ce qui posait un gros problème pour tous les studios qui misaient là-dessus avant la pandémie. Mais compte tenu de l'amour du public indien pour les méga-blockbusters depuis quelques temps, on peut parier sur une année 2023 extrêmement lucrative tant à Bollywood que chez les autres industries.

Dsluc
02/11/2022 à 23:21

Incroyable mec. Tu as oublié une ligne sur deux ou quoi, je comprends rien de ce que tu as noté. C est écrit sous forme de code? Non parce que si c est une lettre de motivation pour bosser à l'EL, c est pas gagné.

PonniyanSelvan
02/11/2022 à 14:45

Il enchaine les gros flops notre ami Akshay ( bon ces 4 derniers film c'est de la daube ) , Plus aucun acteur bollywoodien de blockbuster n'est rentable en Inde . Le boycott de Bollywood ( enfin de tous les acteurs/ices progressistes ou musulmans ) sous le controle du BJP a l"air de bien marcher...
A voir l'accueil du prochain Sharuck qui a besoin aussi de hit .

Miami81
02/11/2022 à 13:26

Je suis d'accord avec Simon Riaux, les commentaires manquent d'objectivité. La rédaction se prive rarement de mentionner le côté propagande d'un film qu'il soit américain, français ou chinois. Encore faut-il que ça ait une utilité dans la critique elle même du film. A priori, les critiques ne sont pas là pour parler de politique mais du film lui-même. La propagande ne sera intéressante à être mentionnée que si elle a un effet négatif sur le ressenti du film.
Après, dire qu'Homeland, que la série est islamophobe, c'est quand même avoir vu la série avec un objectif déjà vicié. A partir de là, je ne suis pas étonné que vous voyiez de la propagande partout. Certes la trame générale porte sur le terrorisme islamique, mais la série en propose justement une lecture très mesurée.

Simon Riaux
02/11/2022 à 12:21

@T.

On nous reproche à peu près quotidiennement de trop en faire sur la dimension idéologique ou politique des films français et américains.

On ne se réveille donc pas du tout et on ne réserve pas en la matière de sort spécifique à tel ou tel cinéma.

Dirty
02/11/2022 à 12:17

@Karev, Peter Berg est un génie, Homeland est un chefs-d'œuvre. Fait avec.

Miss M
02/11/2022 à 12:06

Entièrement d'accord avec les commentaires précédents. Si on commence à s'étendre sur ce sujet quand il s'agit du cinéma US... On sera loin d'en avoir fini.

fuck
01/11/2022 à 18:16

Un film islamophobe est forcément un chef d'oeuvre.

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