Meurtres sans ordonnance : critique qui a(na)tomise le corps médical sur Netflix

Geoffrey Fouillet | 26 octobre 2022
Geoffrey Fouillet | 26 octobre 2022

Adapté du livre éponyme de Charles Graeber, relatant l'histoire vraie du tueur en série Charles Cullen, Meurtres sans ordonnance débarque sur Netflix, creusant le sillon du "true crime", particulièrement fécond pour le géant de la SVoD. Autour du réalisateur danois Tobias Lindholm, qui signe ici son premier long-métrage en langue anglaise, on retrouve Darren Aronofsky à la production, Krysty Wilson-Cairns au scénario, et le duo de comédiens Jessica Chastain et Eddie Redmayne dans les rôles principaux. Avec tous ces talents réunis, peut-on parler de bonne pioche pour Netflix ?

MÉDECINE LÉTALE

À moins de vivre dans une grotte (et on ne vous le souhaite pas), il est a priori impossible d'ignorer l'attrait grandissant de la fiction contemporaine pour le fait divers criminel. Que ce soit au cinéma ou à plus forte raison à la télévision, les cas les plus sordides servent désormais de matière première aux réalisateurs et showrunners, avides de sonder la complexité psychologique de ces monstres à visage humain. Et à ce compte-là, Netflix en a fait son cheval de bataille. De la série Mindhunter produite par David Fincher, au film Extremely Wicked avec Zac Efron en Ted Bundy, jusqu'à la récente mini-série Dahmer estampillée Ryan Murphy, tout est bon pour démystifier la figure du serial-killer et la rendre immédiatement accessible.

Avec Meurtres sans ordonnance, le principe est sensiblement le même, à quelques audaces près et on y reviendra. Le film suit donc Amy (Jessica Chastain, encore une fois très convaincante), une infirmière dévouée, mais surmenée, qui se voit épauler par un nouveau collègue, Charlie (Eddie Redmayne, dans un contre-emploi réjouissant), au cours de ses gardes de nuit. Alors qu'une amitié sincère naît entre eux, leurs patients admis en soins intensifs meurent prématurément les uns après les autres. Une enquête s'ouvre et bientôt, Amy soupçonne Charlie d'être responsable de cette suite de décès inexpliqués.

 

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Plutôt que de réduire la caractérisation des personnages à leurs seules interactions, Tobias Lindholm s'en acquitte en s'intéressant d'abord au milieu professionnel qu'ils occupent, et le constat est sans appel. Derrière un système en apparence rigoureusement ordonné, les dysfonctionnements se multiplient, parfois par accident, d'autres fois à dessein. Cela va du bug informatique du logiciel donnant accès aux médicaments à la dissimulation de preuves compromettantes par l'autorité chargée des risques. Dans ces conditions, se méfier est encore la meilleure solution.

Un climat de suspicion que le cinéaste parvient à créer en filmant l'hôpital comme un dédale opaque, où les lignes de fuite formées par le décor se perdent dans le flou ou l'obscurité. Une approche esthétique qui rappelle celle des grands thrillers paranoïaques des années 1970. La toute première scène du film montre Charlie, immobile, observant un patient en train de mourir tandis que d'autres infirmiers tentent de lui sauver la vie. À la faveur d'un lent zoom avant, le réalisateur resserre son cadre sur Charlie et enjoint alors le spectateur à scruter non pas les conséquences du drame, mais la cause.

Quand bien même la partie dévolue à l'enquête est moins captivante que le reste, elle vient mettre en évidence la nécessité d'effectuer un pas de côté pour déceler le vice caché. Une stratégie que les détectives Braun et Baldwin vont suivre en faisant officieusement appel à Amy afin de pouvoir piéger Charlie plus facilement. Dès lors, le film adopte les codes du récit d'infiltration, l'infirmière se retrouvant à réparer les dysfonctionnements systémiques qu'elle subissait jusqu'ici. Et si la tension monte bel et bien d'un cran, notamment à l'occasion d'une scène de confrontation dans un diner, ce virage du scénario ne vise jamais la démonstration de force.

 

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DU COEUR À L'OUVRAGE

"À la lecture du livre, j'ai réalisé que j'étais surtout intéressé par les derniers chapitres, ce qui concernait la vie d'Amy et son parcours héroïque. Elle pouvait être la lumière dans les ténèbres, le vecteur humain et émotionnel pour raconter l'histoire", expliquait Tobias Lindholm dans une interview accordée au magazine Screendaily. Loin d'être un simple faire-valoir pour Charlie, Amy est le cœur battant, mais fragile du film, dans la mesure où elle risque à tout moment l'infarctus à cause d'une cardiomyopathie.

À plusieurs reprises, le réalisateur et sa scénariste utilisent la maladie d'Amy afin de placer le personnage dans la même position que ses patients. Lorsqu'elle tente par exemple de réanimer l'un d'entre eux au moyen d'un massage cardiaque, elle se met à éprouver les symptômes de celui qu'elle essaie précisément de sauver. Plus tard, elle se réveillera sur un lit d'hôpital, terrifiée à l'idée de terminer comme les précédentes victimes de Charlie. Une anxiété et une vulnérabilité que l'on entend alors via l'accélération de son pouls sur l'électrocardiogramme. Une idée sonore presque simpliste, mais diablement efficace.

 

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Dans les moments de crise du personnage, conjuguant vertiges, essoufflements et douleurs à la poitrine, la caméra devient plus instable et se rapproche de son visage. Cette proximité traduit l'évidente affection que le cinéaste porte à cette héroïne du quotidien, elle-même capable d'une grande compassion à l'égard de ses patients, et aussi de Charlie (oui oui). Que l'infirmière et son collègue meurtrier aient respectivement deux petites filles et soient célibataires encourage par ailleurs leur empathie réciproque, et la complicité palpable des deux comédiens à l'écran enfonce le clou.

Leur relation suffit à elle seule à contrecarrer le manichéisme souvent de rigueur dans ce genre de productions. Là où il aurait été facile, mais tout à fait compréhensible qu'Amy se détourne de Charlie après avoir découvert son vrai visage, c'est l'exact contraire qui se produit. En s'aidant mutuellement à combattre ou reconnaître le mal qui les ronge, chacun se sent redevable par rapport à l'autre. C'est pourquoi Charlie couvre Amy avec sa veste au début, et vice versa à la fin. Un geste loin d'être anodin qui apparaît comme une totale anomalie au sein d'un système déshumanisant.

 

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Alors oui, Meurtres sans ordonnance se maintient dans une zone grise qui l'empêche globalement de faire des étincelles, mais malgré cette tendance un peu austère, le film évite plusieurs poncifs en la matière, tels que le voyeurisme malsain ou l'explication psychologisante. On ne verra jamais Charlie tuer ses victimes - son mode opératoire consistant à injecter de l'insuline dans les poches de perfusion - et la conclusion n'apportera aucune réponse définitive sur les raisons l'ayant poussé à agir ainsi (29 meurtres avérés et 400 pour lesquels il est suspecté).

Le sensationnalisme n'a donc pas sa place ici, et c'est tout à l'honneur du réalisateur que de redonner via la fiction une perspective humaine à cette histoire.

Meurtres sans ordonnance est disponible sur Netflix depuis le 26 octobre 2022

 

Meurtres sans ordonnance : affiche

Résumé

En dépit d'une grammaire visuelle soignée, mais sans grand éclat, Meurtres sans ordonnance réussit à allier une efficacité narrative très anglo-saxonne à une sensibilité plus européenne, davantage axée sur une approche clinique des évènements. Cet entre-deux contribue à la dimension non-manichéenne du film et permet aux acteurs de développer une palette de jeu étonnante. Une réussite discrète à ranger dans la moyenne haute du genre.

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commentaires
Ozymandias
07/03/2023 à 07:47

Vu hier soir, j'ai beaucoup apprécié. Simple mais efficace, les deux acteurs principaux sont également excellents. Merci pour votre critique qui m'a donné envie de le voir ;).

Bibou
27/10/2022 à 08:08

Woaw ! c'est quand meme archi nul !
Je veux dire voilà un thriller ou tout est dit dans le synopsis. Et apres, quoi d'autre ? Il n'y a pas un seul instant de tention, ou de suspens. On ne voit pas le meurtrier commetre ses crimes ok, est ce que le scénario se sert de cela pour éventuellement mettre un doute chez nous spectateur ? Nope !
On évite l'eccueil explicatif et psychologisant pour comprendre les motivations du meurtrier ? En effet !
Mais alors quel est l'interet d'un thriller dans lequel il n'y a ni suspens, ni tention, ni doute et ni psychologie ?

Andarioch1
26/10/2022 à 18:48

efficacité narrative très anglo-saxonne et sensibilité plus européenne, forcement, ça fait envie...

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