La Proie du diable : critique de l'école du bien et du mal

Mathieu Jaborska | 27 octobre 2022
Mathieu Jaborska | 27 octobre 2022

James Wan s'apprête officiellement à produire un énième Conjuring, et il a bien raison : le catho-porn horrifique est toujours aussi virulent, et l'un de ses symptômes terminaux pourrait bien être La Proie du diable, réalisé par Daniel Stamm. On y suit, tenez-vous bien, une bonne soeur dans une école d'exorcistes, avec tout ce que cela implique de niaiseries et de jumpscares. Attrapez votre crucifix et ouvrez vos Bible page 666...

En tous chemins en tous lieux...

La culture américaine étant ce qu'elle est, l'imagerie catholique n'a pas attendu James Wan pour parasiter le cinéma d'horreur hollywoodien. En témoigne bien évidemment L'Exorciste, le plus célèbre des films à avoir pioché dans le chapitre démoniaque de la Bible (comment ça, il existe pas ?), dont Daniel Stamm (réalisateur de La Proie du Diable, mais aussi du dernier exorcisme) est l'un des nombreux héritiers. Depuis 1973, les gamins ou gamines qui se tordent en récitant des gros mots sont quasiment les signes distinctifs d'un genre à part entière, pas particulièrement riche en grands films...

Ces dernières années toutefois, grâce à "l'univers étendu" Conjuring, les culs bénis dominent carrément, coude à coude avec Blumhouse (et encore), le box-office américain. Crucifix retournés, curetons à la mine grave, arrosage automatique à l'eau bénite et bien sûr séances d'exorcisme en pagaille... les sacrements sont devenus archétypes. Quand Friedkin assumait questionner sa propre foi en explorant ses extrémités, les sous-Conjuring préfèrent transformer les bondieuseries américaines en poncifs à surexploiter, quitte à progressivement réhabiliter les escrocs qui les ont le mieux manipulés.

 

La Proie du diable : photo, Christian NavarroNotre tête à chaque nouveau jump-scare

 

Une approche pour le moins traditionaliste pas très loin de son apogée dans La Proie du diable et son histoire d'apprentis exorcistes traitée avec un tel sérieux et un premier degré si sentencieux, voire bigot, qu'il pourrait être un spin-off du débat sur "les forces du mal" de CNews. Dans cette relecture pompeuse et catho de Jujutsu Kaisen, les apprentis exorcistes sont une bande de jeunes beaux gosses qui prennent des notes en amphi avant d'aller se bastonner avec les forces du mal en sous-sol. Activité à laquelle adorerait se livrer la courageuse religieuse Soeur Ann (Jacqueline Byers), persuadée d'avoir depuis toujours une connexion avec les forces du mal, avérée, bien évidemment.

Un postulat qui aurait pu être plus amusant une fois extirpé du carcan du cinéma d'épouvante. En l'occurrence, les séquences d'exorcisme et autres scènes de trouille sont moins des foires d'empoigne que des foires aux jumpscares prévisibles, cochant toutes les cases avec un enthousiasme impressionnant : les exorcismes sont nombreux, l'eau bénite remplit des bassins et les possédés grimpent au plafond à la moindre incantation. Heureusement, l'Église, dans sa grande bonté, a dépêché nonnes rebelles et prêtres disciplinés pour vaincre les forces du mal... et défendre ses valeurs.

 

La Proie du diable : photoLa fameuse Task Force du Vatican de Neill Blomkamp

 

... Il ne parle que du Bon Dieu

Car il n'est plus seulement question de régurgiter les clichés du film d'exorcisme à la sauce Harry Potter pour ados en manque de sursauts artificiels, mais de dissimuler, en embuscade derrière son faux ludisme, une perspective dévote particulièrement rance. C'est d'autant plus vicieux qu'outre le vernis anodin du tour de maison hantée, il se pare des atours en vogue dans le cinéma hollywoodien du moment : l'héroïne, valeureuse nonne à l'enfance difficile, milite activement pour intégrer un cursus réservé aux hommes.

Une imitation improbable de l'écriture dite "post-MeToo" en milieu catholique, qui fait en fait office de leurre : au final, notre égérie des couvents ne crée pas un précédent, bien au contraire, et conforte plutôt le système conservateur dans ses idées les plus nauséabondes. En effet, alors que se dévoile son histoire personnelle, émerge une diabolisation littérale de la maternité non désirée, qui culmine dans un flashback explicatif et dans une séquence d'exorcisme "amateur" aux implications pour le moins douteuses. Évidemment, pour absoudre ses péchés et se libérer du démon, la pauvrette devra exercer ses instincts maternels sur la jeune Natalie (Posy Taylor).

 

La Proie du diable : photo, Jacqueline ByersTu seras mère, ma fille. Pas le choix.

 

Bienvenue dans la dimension prosélyte du catho-porn, le dernier stade de son évolution qui, sous couvert d'exorciser les démons personnels de ses personnages, justifie ses injonctions morales par la présence du diable et compagnie, comme au bon vieux temps. La proie du diable du titre a forcément quelque chose à se reprocher, c'est-à-dire avoir échappé au destin que l'Église lui réserve. Son parcours consistera dès lors à revenir sur le droit chemin, avec le sourire bien sûr.

À l'image de l'un de ses fusils de Tchekov, instrument de torture décrit comme appartenant à un autre temps dans le premier acte... avant de résoudre l'intrigue dans le troisième, le film renvoie subtilement aux raisonnements les plus archaïques (quiconque s'intéresse à la manière dont a évolué l'appréhension des maladies mentales risque de s'étrangler à de nombreuses reprises), tout en tentant de nous persuader de l'innocence de son formatage. Vade Retro !

 

La Proie du diable : Affiche officielle

Résumé

L'imaginaire catholique manipule le récit plutôt que l'inverse. Donc, en plus des effets de manche insupportables, il faut se fader des relents bigots bien nauséabonds. Personne ne mérite de s'infliger ça.

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commentaires
inconnu
08/11/2022 à 13:54

Faut etre dingo pour faire un film de ce genre , bon film sinon.

khal55
31/10/2022 à 18:01

Chères amis d'écran large,

un peu moin de suffisance à l'égard des croyances monotheistes ne serait pas de refus..

vous n'étes pas obliger d'y adhèrer mais critiquer le film avec des arguments purement cinematographiques et esthetique serait plus cohérant et surtout plus respectueux à l'egard des croyants.

"l'imaginaire chrétien" c'est très arrogant comme formulation..

bien à vous

Starpoint
29/10/2022 à 23:56

Ca me fais rire vos critiques ! c'est un bon film dans le genre et hate de voir le prochain conjuring

Comment vous vous prenez la tete a tout analyser,ca me fait sourire et LOL pour le une etoile

T'es un champion

Dirty Harry
27/10/2022 à 16:43

Mission, la Passion du Christ, (et accessoirement toute l'Histoire de l'Art occidentale Bach, Michelange, Mozart...) sont de grandes oeuvres catholiques. Scorsese voulait faire une carrière sacerdotale...
Je ne saisis pas ce qu'il y a de "nauséabond" dans les évangiles : meme les Monty Python lorsqu'ils firent "La Vie de Brian" ne voyaient rien à redire au message du Christ.
Ce film n'a rien de catholique, c'est fait par des gens qui n'y comprennent rien pour un public qui y est étranger donc attaquer le catholicisme là où il n'y en a pas et prétendre que c'en est, est totalement absurde.

Tonto
27/10/2022 à 10:54

Vous vous acharnez tellement sur ce film parce qu'il est catholique que ça me donnerait presque envie de l'apprécier, finalement. ^^
Mais si ce film est effectivement une grosse bouse, c'est pas parce qu'il est catholique, c'est précisément parce qu'il n'a rien compris au catholicisme. Je ne sais pas pour quoi il fait de la propagande, mais pas pour l'Eglise. Et s'il croit le faire, il rate sa cible avec une incompétence exemplaire...
Rien ne va dans ce film, parce que rien ne reflète la réalité, jamais. L'école est bidon, les problématiques qui sont posées sont complètement absurdes, les scènes d'exorcisme ridicules, et tout ça nous montre que les scénaristes n'ont jamais fait l'effort de se renseigner sur leur sujet. Du coup, je trouve ça un peu gros de reprocher au film d'être trop catholique alors que chaque scène montre au spectateur qui connaît un peu les choses que ça n'a rien à voir du tout.

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