Le Petit Nicolas : critique qui n'attend plus pour être heureuse

Simon Riaux | 12 octobre 2022 - MAJ : 12/10/2022 11:07
Simon Riaux | 12 octobre 2022 - MAJ : 12/10/2022 11:07

Bien du monde a adapté Le Petit Nicolas. Mais ici c'est lui qui prend les commandes du récit dans Le Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?, film d'animation qui nous raconte ses deux créateurs. Présentée à Cannes, cette rêverie qui prenait le risque de passer à côté de la joliesse de son sujet est un des films les plus émouvants de l'année.

NICOLAS (EN) CAGE

Institution française, Le Petit Nicolas a été porté à l’écran notamment par Laurent Tirard et Julien Rappeneau, à l’occasion d’une trilogie de films en prises de vues réelles, qui bataillaient tant avec l’esprit des créations de Sempé et Goscinny qu’avec leur transcription dans le terrain de jeu du cinéma “traditionnel”. Jongler entre adultes et enfants, au risque de dénaturer le concept d'origine, verser dans la caricature surannée plutôt que l’évocation candide, le tout en naviguant dans les eaux de la grosse comédie qui tâche et son casting attendu... Tout concourait à diluer l'esprit de l'oeuvre originelle.

Pas franchement indignes, ces trois productions étaient de toute évidence pensées avant tout comme des champions du dimanche soir plutôt que des continuations artisanales de leur modèle de papier. C’est là où le film d’Amandine Fredon et de Benjamin Massoubre marque une rupture véritable. En effet, le duo de créateurs, dont c’est ici le premier long-métrage, envisage son travail d’adaptation non pas comme un geste d’hommage ou de recréation patrimoniale, mais bien sous la forme d’une exploration sensible.

 

Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : PhotoUn film accueillant comme une terrasse un soir d'été

 

Projet qui prend donc nécessairement la forme de dessins animés, pour retrouver la fraîcheur du trait de Sempé, son goût pour l’esquisse... mais qui ne peut s’envisager sans une profonde réflexion sur l’écriture. Car si les charmantes silhouettes de l’écolier et de ses amis sont reconnaissables entre mille, on oublie trop souvent combien elles répondaient parfaitement à la langue claire de Goscinny, au talent du scénariste pour le déroulement de récits à la fois clairs, mais toujours sous-tendus par plusieurs discrètes intrigues ou motifs, un sens de la formule cristallin. Le premier accomplissement du Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? est donc de restituer le personnage tant dans son identité graphique que textuelle. 

 

Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : PhotoQui veut l'appeau du Petit Nicolas ?

 

SAINT NICOLAS 

Plus fidèle et conscient de son héritage que ses prédécesseurs, le long-métrage de Fredon et Massoubre est en outre beaucoup plus qu’une parenthèse enchantée, une bulle clichetonneuse, fût-elle stupéfiante, mais bien une réinvention de son jeune héros, qui n’est plus le cœur palpitant de son récit, puisque celui-ci se concentre d’abord sur l’histoire d’amitié entre Sempé et Goscinny. C’est leur rencontre, la naissance de leur collaboration, les échanges délicats qui rythmèrent leur pas de deux qui occupent tout l’espace. 

Et pour cause, si Nicolas est leur enfant, et que le film d'animation lui réserve une place de choix, c’est pour mieux en faire l’exégèse de ses créateurs. L’idée est d’autant plus passionnante qu’elle éclaire un pan de la création artistique française, mais autorise aussi un commentaire composé passionnant. En premier lieu, suivre de manière intriquée la chronique d’une fraternité puis d’une expérimentation artistique permet d’employer le trait si particulier de Sempé, sans le singer, ou le circonscrire à une nostalgie aussi surannée que hors-sujet. 

 

Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : PhotoLe menu de l'amitié

 

Le film l’a bien compris : les culottes courtes d’écoliers, les bancs usés ou les mines couperosées de vieux serveurs, les trottoirs émaillés de feuilles mortes ne sont pas tant des échos regrettés d’un âge d’or (contrairement à Les Choristes et son fantasme d’un Hexagone aux airs de rillettes bio), que d’authentiques éléments de rêves, renvoyant directement à l’enfance et à sa capacité à transfigurer nos souvenirs. Oubliez donc le parfum suffocant de la naphtaline, Le Petit Nicolas pose beaucoup plus sincèrement qu’attendu la question de son titre. 

 

Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : PhotoUne histoire d'amour et de crayonné

 

LE PETIT ALAIN

Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Une interrogation d’autant plus authentique que Sempé et Goscinny ont beau se divertir et se faire rire, arpenter avec délice les rues de Paris, humer le parfum des cafés, leur entente est troublée par le destin lui-même, puisque les deux inventeurs seront brusquement séparés après le décès du second en 1977. Le récit de leur féconde amitié ne vire pas pour autant au mélo, mais on sent dans chacune de ces scènes que c’est bien la politesse du désespoir qui habite l’écriture de l’ensemble, un pressentiment de douce tristesse. 

À ce titre, avoir confié l'interprétation des deux artistes à Laurent Lafitte d'une part et à Alain Chabat de l'autre est une idée brillante. Loin de simplement colorer l'entreprise de leur aura sympathique, ils se livrent à un exercice d'incarnation d'une grande sensibilité. C'est la prestation de l'ancien de Les Nuls qui apparaît comme la plus évidemment lumineuse. Ce n'est pas vraiment un secret : l'homme est un fin connaisseur de l'oeuvre de Goscinny, et son intérêt pour l'auteur qui engendra Astérix transparaît dans la moindre réplique... ainsi qu'une forme d'idenfication logique et authentiquement bouleversante.

 

Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : PhotoL'interzone pour les enfants

 

Parrain du rire en bande-dessinée, mais plus largement des imaginaires, créateur prodigieux mais aussi découvreur de talents qui propulsèrent la BD franco-belge au firmament, Goscinny est désormais, nécessairement, une figure à laquelle s'identifie Chabat, lui qui, après avoir fait se gondoler des centaines de millers de personnes à coups de "cons de mimes" accueille et encadre désormais une partie de la création hexagonale à la manière d'une bonne fée poilue. Et on sent plus d'une fois l'acteur, scénariste, réalisateur et trublion à la fois dépassé et bouleversé par l'impact émotionnel que charrie pour lui comme pour nous le parcours de Goscinny, un des deux pères de Nicolas, qui laissera orphelins sa création et son compère Sempé.

Ces quasi-moments de bascule sont d'autant plus importants qu'ils permettent au film de ne pas rester un objet trop ouvertement intellectuel ou méta. En effet, si on a droit ici et là à quelques reprises des saynètes les plus connues du personnages (ses échanges avec son premier amour, un épisode de pêche chaotique, etc), le récit est essentiellement construit comme un commentaire exploratoire du travail de ses créateurs. Que les interprètes parviennent à maintenir ce dispositif sophistiqué rivé au coeur du spectateur, qui retrouve par miracle deux vieux amis dont il regrette d'avance d'avoir à les abandonner, c'est un tour de force qui ne peut laisser insensible.

 

Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : affiche

Résumé

Plus qu'une adaptation du Petit Nicolas, c'est la découverte de la formidable amitié qui l'engendra que nous racontent les deux auteurs de ce film. Le résultat est une évocation précieuse, doublée d'une ode émouvante à la fraternité, qui sublime les travaux de Sempé et Goscinny sans jamais les condamner à la nostalgie.

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commentaires
Ozymandias
21/02/2023 à 15:39

J'ai trouvé ça sans plus perso, ça ne m'a pas touché particulièrement. Dommage car j'ai toujours adoré le petit nicolas et l'animation est vraiment jolie.

Morcar
17/10/2022 à 10:00

J'y suis allé ce week-end avec mes trois enfants de 15, 13 et 10 ans, et ils ont tous les trois autant aimé que moi. Mon fils de 10 ans a d'abord été surpris en voyant que ça ne parlait pas du petit Nicolas mais de ses créateurs, mais il a vite saisi le concept et beaucoup aimé le mélange.
Mes deux plus grandes filles ont apprécié la qualité d'animation, remarquant quantité de détail de mise en scène malines qui font la qualité de ce film. Comme quoi tout ce que je leur montre depuis des années concernant la mise en scène des films etc... a porté ses fruits :)

Bref, un très bon film d'animation française ! Je le conseille à tous les âges.

Aztec
16/10/2022 à 19:55

Magnifique critique pour cette œuvre magnifique. J'en e connaissais rien ou presque du petit Nicolas (mais assez fan des dessins de Sempé) et je le suis retrouvé à voir ce film pour faire plaisir à mon fils de 10 ans.. quelle claque, on retrouve l'univers de Sempé et je rejoins totalement votre vision sur l'interprétation de Chabat.
Pourtant très cinéphile et ayant vu un paquet de films en 2022 je le mets tout en haut sans hésiter

SimaoDoBrasil
13/10/2022 à 09:03

Je découvre l'existence de ce film avec cet article (merci EL), et ça illumine ma journée ! Le film a l'air vraiment prometteur, très frais dans son style graphique, le doublage sera sans doute top, si l'histoire suit tout ça on tiendra une petite perle. Très très hâte de poser les yeux dessus !

Loozap
13/10/2022 à 00:46

J'aime grave le concept

motordu
12/10/2022 à 14:22

J'avais oublié que Sempé nous avait quitté à son tour très récemment. Quelle tristesse que ces deux humanistes ne soient plus parmi nous, mais ce film semble être un bel hommage.

Prisonnier
12/10/2022 à 14:01

Cool. J'avais peur d'être ballonné Sempé

fuck
12/10/2022 à 10:55

Julien Rappeneau et non Jean-Paul son père ou Martin son frère

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