Novembre : critique qui sort Dujardin

Simon Riaux | 7 avril 2023 - MAJ : 11/04/2023 09:00
Simon Riaux | 7 avril 2023 - MAJ : 11/04/2023 09:00

Réalisateur de l’ambitieux La French, simultanément porté aux nues et cloué au pilori à l’occasion du succès de Bac NordCédric Jimenez nous revient avec Novembre. Mené par un casting cinq étoiles (Jean DujardinAnaïs DemoustierSandrine KiberlainJérémie Renier ou encore Lyna Khoudri), c'est son projet le plus ambitieux mais aussi le plus risqué à ce jour puisqu'il s'attarde sur la traque des terroristes à l'origine des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

FLUCTUAT NEC FILMITUR 

Le soir du 13 novembre 2015, le service de la sous-direction anti-terroriste de Paris (SDAT) entre soudain en ébullition. Au stade de France, au Bataclan, dans les rues des 10e et 11e arrondissements, neuf terroristes islamiques commettent un carnage, qui coûtera la vie à 130 personnes et fera plus de 400 blessés. Alors que la capitale sombre dans la terreur et le chaos, les équipes du SDAT entament une course contre la montre cinq jours durant, pour appréhender les responsables, leurs complices et empêcher une deuxième vague d’attentats redoutée.

 

 

C’est sur cette traque que se concentre le récit filmé par Jimenez, et sur cette traque exclusivement. Dès son ouverture, qui représente ses divers protagonistes apprenant – les uns au bureau, les autres durant une course à pied ou chez eux – l’ampleur des attaques qui ensanglantent Paris, le film veut rassurer son spectateur tant sur ses intentions que sur le soin qu’il apporte à leur exécution. Son point de vue sera, comme dans Bac Nord, exclusivement celui des policiers, une chronique de leur ressenti, de leur engagement et de leur mission, qui laissera au hors-champ la violence de l’attaque, l’obscénité de l’attentat.

 

Novembre : photoTornade d'action bureautique

 

Le réalisateur tient cette note d’intention de la première à la dernière image, sans jamais en déroger. Voilà qui pose déjà une première avancée en regard de ce que fut son premier film, qui semblait plus d'une fois absolument inconscient de l’énormité du discours qu’il posait et de combien il interdisait toute nuance digne de ce nom dans le débat auquel il s’invitait de facto. Il faut dire qu’en s’emparant d’un évènement aussi terrible que celui qui occupe le cœur de Novembre, l’ensemble se place dans les pas d’une tradition de cinéma qui n’est pas sans aller avec un minimum d’exigence. 

 

Novembre : Photo Jean Dujardin"Sont bien gentils les critiques bobos, mais n'empêche qu'on était à Cannes, nous"

 

ENQUÊTE D’ENQUÊTE 

Cela fait bien longtemps que le cinéma international ne rechigne pas ou plus à explorer le contemporain pour en extraire de formidables matériaux à fiction. Réflexifs, contemplatifs, divertissants, introspectifs, spectaculaires ou explicatifs, ces gestes parfois cathartiques ont permis d’accompagner nombre d’évènements, historiques, catastrophiques ou tout simplement en rupture avec leur époque, via des interprétations ou recréations.

Ces dernières années, des productions telles que Zero Dark Thirty, Deepwater, Traque à Boston et beaucoup d’autres se sont penchés sur des contextes, cataclysmes ou évènements aussi difficiles que complexes à appréhender. En France, on assiste également à une nette évolution, phénomène d’autant plus intéressant que jusqu’à ces dernières années, l’Hexagone paraissait des plus frileux en matière de recension du réel. 

 

Novembre : Photo Anaïs DemoustierComme un lundi

 

Qu’il craigne de le trivialiser, ou soit encore sous la coupe de la vieille rengaine des universitaires des seventies désignant la spectacularisation comme une démission intellectuelle ou politique, le cinéma français redoutait ce type de productions. Il y sera venu progressivement, par des biais détournés, l’admirable L'Exercice de l'État constituant un tournant, incarné encore tout récemment par des propositions telles que Kompromat, Goliath ou encore Revoir Paris. Novembre pousse son ambition plus loin, en se mesurant au filmage désormais identifié d’une Kathryn Bigelow, tout en affirmant une volonté de reconstitution d’une grande fidélité.

 

Novembre : photo, Jean Dujardin, Jérémie Renier"Et c'est là que vous faites entrer l'accusé"

 

MUDDY HARRY 

Et pendant quarante minutes, le long-métrage est en passe d’y parvenir. Sa mise en scène suit un principe simplissime, mais toujours exigeant tant en matière de montage que de sens de l’équilibre, puisqu’il se focalise exclusivement sur l’action des personnages, puis les conséquences de celles-ci sur eux-mêmes, sur leurs corps, leur diction, leur attitude. Quand il emmagasine l’électricité d’un centre de commandement ou emboîte le pas à Anaïs Demoustier, impeccable en jeune enquêtrice que les circonstances poussent à entrevoir ses limites, le réalisateur s’échine à enregistrer les énergies, capter les motivations.

D’où une puissance évocatrice peu commune, une intensité générale qui va croissant. D’autant plus que la tonalité générale permet à l’intégralité du casting, Jean Dujardin en tête, de donner le meilleur de soi sans se perdre dans les méandres de la fausse sobriété de pacotille. Chacun reste à sa place et donne ce qu’il peut pour nous aider à saisir la vertigineuse traque qui se dessine dans la nuit du 13 novembre. Mais, signe que décidément le chef d'orchestre est plus affamé de fiction que de reconstitution, c'est la protagoniste qui lui offre le plus de chair à réinterpréter, "Sonia", qu'incarne la stupéfiante Lyna Khoudri, qui tire avec le plus d'évidence son épingle du jeu.

 

Novembre : photo, Lyna KhoudriUn voile de discorde

 

Malheureusement, Novembre est condamné à s’étioler progressivement, pour trois raisons majeures. Tout d’abord, cette tension progressive, à base de longues focales, de caméra portée et de ponctuation par le montage, ne sied pas tout à fait au style de Jimenez. On l’a vu avec ses deux précédents efforts, celui qui se dit influencé par De Palma, Scorsese et Henri Verneuil est à l’aise avec tout ce qui lui permet de conférer de l’ampleur à l’action, quand la géographie d’une séquence dépend autant de l’espace dans lequel elle s’insère que des personnages qui la peuplent. 

Une équation absente ici, à l’exception de l’ouverture et de la conclusion qui font ce qu’elles peuvent pour ramener un peu de pure nervosité à l’histoire. Mais face à un récit dénué d’une dramaturgie matérielle conséquente, coincé entre ses bureaux anthracite et ses alcôves nocturnes, on a bien du mal à sentir le goût pour l’emphase bien placée du cinéaste. 

 

Novembre : photo, Sandrine Kiberlain, Jean Dujardin"T'es p'être innocent, mais tu sues comme un curé au salon de la poussette"

 

OUAIS OF THE GUN 

Plus embêtant, on en vient progressivement à se demander si son angle d’attaque n’est pas totalement contradictoire avec la réalité de ce qu’il décrit. Cédric Jimenez a pour lui l’intégrité de raconter une enquête éprouvante menée 5 jours durant, en la représentant pour ce qu’elle est : un lamentable fiasco. Des services de renseignement inopérants, à l’incapacité des services à respecter leurs propres procédures ou à différencier petits dealers et dangereux djihadistes, jusqu’à une vaste arrestation tournant à la guérilla urbaine teintée de carnage, les institutions françaises ne sortent pas grandies du film.

Et pourtant, le scénario comme le découpage suivent les opérations comme si elles relevaient du terreau idéal pour un hommage unilatéral. Ce pourrait être un choix politique, l’affirmation d’un point de vue assumé avec sa part de radicalité, voire de patriotisme, mais alors que l'intrigue progresse inexorablement vers sa résolution pyrotechnique, on en vient à douter de la capacité de son réalisateur à appréhender tout à fait la nature de ce qu’il porte à l’écran.

 

Novembre : photoReste à trouver qui va jouer le livreur de pizza

 

En témoigne la récente polémique et bataille judiciaire, qui a précédé la sortie de Novembre, emmenée par “Sonia”, source grâce à laquelle le SDAT s’avéra plus efficace qu’une poule avec un couteau en matière d’anti-terrorisme. Celle-ci fit saisir la justice en référée, affligée de se voir représentée lourdement voilée à l’écran, une apparence aux antipodes de la réalité, qui vaudra à la production d’ajouter en urgence un carton pour mettre en garde ses spectateurs devant cette imprécision.

Hommages à géométrie variable donc, pour un film ambitieux, souvent immersif, mais à la côte bien mal taillée, qui appelait un regard aiguisé, capable de portraiturer la complexité d’un monde au bord de l’embrasement, plutôt que la gourmandise pyrotechnique d’un artisan convaincu de ne pas faire de politique. 

 

Novembre : affiche

Résumé

Tendu et finement observateur durant sa première moitié, Novembre se désagrège au fur et à mesure qu'il échoue à développer un point de vue pertinent, ou à traiter convenablement tous ses personnages.

Autre avis Alexandre Janowiak
Cedric Jimenez livre un thriller efficace mais inutile avec Novembre. Une reconstitution tendue et rythmée des attentats parisiens de novembre 2015, mais qui ne propose aucun regard sur les événements, voire met trop en avant le visage des terroristes. Sacré gâchis.
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Lecteurs

(2.6)

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commentaires
Rorov94m
10/04/2023 à 08:56

Encore un film extra potentiellement gâché par la repentance gauchiste comme l'a été
ATHÉNA et sa scène post générique.

Ethan
09/04/2023 à 11:38

film polémique où l'un des personnages importants celui de lyna Khoudri est voilé alors que dans la réalité ce personnage ne l'était pas

Gacho
08/01/2023 à 23:00

Des gens ont pleuré dans la salle
C'est la où je me suis rendu compte que ce pays est fichu

Marc en RAGE
30/10/2022 à 23:35

@ClemParis11

Je ne comprends pas pourquoi tu es allez voir ce film .Tu as été touché personnellement par le décès de proche se remettre le jour des attentats le 13 Novembre 2015 je comprends ton malaise. je n'ai aucune envie de voir film sur ce sujet ce n'est pas de la fiction on est dans la réalité et les victimes des attentats payent toujours les conséquences 7 ans après.

cfaforever
29/10/2022 à 17:35

Je n'ai pas aimé ce film : une première moitié 200% en actions coordonnées tant bien que mal par le prétentieux Dujardin qui veut toujours les résultats en 10 minutes, la seconde moitié plus posée, sans qu'à aucun moment les états d'âme des enquêteurs, snippers. et autres n'apparaissent; trois minutes de fusillade -on avait compris après 30 secondes mais cela permet d'amortir la pellicule. Dujardin et Kiberlain sont très moyens, les deux jeunes actrices (Anaïs Demoustier et Lyna Khoudri jouent bien mieux qu'eux). La finalité de ce film m'échappe totalement ...

ClemParis11
27/10/2022 à 20:59

J ai vécu pendant des années rue Saint Sébastien 75011 Paris, même pendant les attentats. Le stress et l'angoisse m'ont amené à être suivi psychologiquement. Ce qui est difficile à encaisser, c'est d'avoir perdu deix proches.. Je regrette d'avoi vur ce film, je me suiis barré un peu plus de 30 minutes de de ce film, mais c'est quoi cette production franco Hollywoodienne ignoble et ces gens là s'engraissent sur le dos des victimes et leurs proches pour faire un film d'action, pathétique !

Sanchez
23/10/2022 à 16:26

La polémique autour du voile de Sonia est assez cocasse. Il est clair que si ils ont voilé Sonia pour le film, c’est sans un soucis de quota pour ne pas montrer les femmes voilées que sous aspects négatifs. Finalement ça s’est retourné contre eux.

Pour ceux qui disent que ce film est un scandale parce qu’ils se font de l’argent sur cette tragédie , deux neurones connectés suffisent pour se dire qu’avec cette mentalité , on arrêterait de faire des films , des œuvres , le 11 septembre n’aurait donc jamais été traité au cinema , la seconde guerre mondiale non plus, bref c’est couillon de penser ainsi. Surtout que le film est un hommage à ceux qui ont permis d’arrêter le carnage.

Sanchez
23/10/2022 à 15:31

Excellente surprise.
On pourra reprocher ce qu’on veut à Jimenez , l’absence de personnage (a part demoustier et Sonia) ou son style pompé aux américains , c’est un excellent artisan et il signe un film tendu, avec une mise en scène tirée a 4 épingles. Du travail d’orfèvre, lisible, passionnant. Dès les 10 premières minutes on a les larmes aux yeux , sans que le réalisateur en fasse des tonnes. C’est un travail d’équilibriste pour que le film ne verse jamais dans la facilité et Jimenez s’en sort avec les honneurs. Le film a la grande qualité de durer 1h40. On va à l’essentiel, et au bout de ce thriller tendu et passionnant , la meilleure scene d’assaut que j’ai pu voir , d’une violence inouïe et sans doute une des meilleures scènes que j’ai vu cette année. Apocalyptique.
8/10

Skak
07/10/2022 à 00:56

C'est très juste ce que j'ai lu plus haut le. bénéfice devrait être verse aux familles des assassinés .il ne me sera pas
Car un film rentre dans un schéma capitaliste

Simon Riaux
05/10/2022 à 18:18

@trotmak

Deep.

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