Athena : critique Ma 6t a craqué sur Netflix

Mathieu Victor-Pujebet | 27 septembre 2022
Mathieu Victor-Pujebet | 27 septembre 2022

Après Notre jour viendra et le très beau Le Monde est à toi, le réalisateur Romain Gavras s'associe à Ladj Ly (Les Misérables) et Elias Belkeddar pour signer Athena sur Netflix. L'histoire est celle de trois frères (interprétés par Dali Benssalah, Sami Slimane et Ouassini Embarek) qui voient leur vie basculer après la mort de leur cadet, suite à une soi-disant intervention policière. Minute après minute, la cité Athena se transforme en château fort, théâtre d’une tragédie familiale et collective à venir. Alors, grand film opératique ou petit pétard mouillé ?

1917... en 2022

Déjà, avec ses deux premiers longs-métrages, Notre jour viendra et Le Monde est à toi, le réalisateur Romain Gavras avait su démontrer une certaine habilité filmique, à grands coups de cadres parfaitement composés et d'agencements stylisés. Ces envies esthétiques prennent une nouvelle dimension avec Athena, où la caméra du cinéaste n'a jamais été aussi créative et puissante.

Contre-plongées sur des bâtiments qui paraissent démesurément grands, profondeur de champ constamment sculptée par des figurants et/ou des feux d'artifice : la scénographie et la photographie (signée Matias Boucard) d'Athena impressionnent par leur richesse, leur précision et leur ampleur. Un caractère quasi mythologique est donné à ces décors, et tout ceci est complètement assumé à travers une grammaire visuelle guerrière et une bande originale opératique.

 

Photo Sami SlimaneAu milieu du chaos

 

À cette amplitude du cadre et du son se conjugue un mouvement quasi ininterrompu de la caméra. Pendant plus d'une heure et demie, il y a une suite de vrais-faux plans-séquences plus ou moins longs qui donnent une sensation de temps réel asphyxiante, brillamment augmentée par un environnement sonore agressif et une composition visuelle constamment agitée et chaotique.

Athena n'est pas qu'un exercice de style : c'est une vraie expérience sensorielle et immersive qui fait d'ailleurs appel à d'autres genres. En témoignent des confrontations dignes d'un actionner, emballées dans un décor de film de guerre, avec un champ lexical quasi mythologique, le tout centré sur un drame familial et sociétal.

Romain Gavras joue même avec les codes du film d'horreur, notamment lors d'une séquence d'évasion très tendue. Résultat : Athena est un film particulièrement riche et ambitieux, exécuté avec une technicité résolument spectaculaire.

 

PhotoLa Chair et le sang

 

La Haine (mais pas trop quand même)

Même au bord de l'implosion et en plein chaos, quelques détails de la vie de ce microcosme surgissent à l'écran. Plus qu'une simple démonstration de maestria visuelle, les plans-séquences d'Athena tentent de cartographier de l'intérieur une certaine idée de la cité en banlieue parisienne. Les habitants de ces énormes bâtiments deviennent alors des figures concrètes et palpables, moins sensibles que dans Les Misérables, certes, mais peints avec bien plus de mesure que dans le récent Bac Nord (si quelqu'un osait comparer).

Par ailleurs, ces courses de part et d'autre de ce gigantesque décor empêchent les personnages de réellement se croiser, si ce n'est dans la confrontation et la violence. Chacun avance, seul, suivi à la trace par la caméra de Romain Gavras (et son équipe technique de haut vol), avec l'affect comme seul moteur, rendant ainsi toute communication impossible. Le cinéaste filme avec ingéniosité la tension entre deux mondes déconnectés, qui n'existent l'un pour l'autre que dans la colère et les cris.

 

Athena : photo Sami Slimane"Chacun sa route, chacun son chemin"

 

À l'instar des Misérables (réalisé et co-écrit par Ladj Ly, ici co-scénariste), Athena cherche à multiplier les points de vue afin de ne pas diaboliser la quête de vengeance des habitants de la cité, sans pour autant la glorifier. Mais là où le film de Ladj Ly s'attaquait à un système malade qui poussait ses citoyens à la violence et à la révolution, Athena essaie tellement de ne froisser personne, ni flic ni banlieusard, que sa force évocatrice en devient tiède.

Pire : avec ses cadres composés et sa photographie esthétisée, la mise en scène ultra léchée de Romain Gavras explore presque une forme de beauté et coolitude malsaine de la guerre. En sacrifiant cette part du sujet sur l'autel du grand spectacle, Athena dégage parfois plus de gêne que de sidération, ou d'indignation.

 

Photo Anthony BajonNon, la guerre ce n'est pas joli...

 

Frères ennemis

Romain Gavras et ses coscénaristes Ladj Ly et Elias Belkeddar ont fait le choix de resserrer leur intrigue sur quelques heures seulement, enfermant les acteurs de ce récit dans un lieu unique, capté quasiment en temps réel. Une épure qui renforce l'efficacité de la fiction, mais qui empêche les auteurs du film de construire des personnages solides, même à travers de petits détails révélateurs.

Les protagonistes d'Athena ne sont que sommairement caractérisés par un affect, souvent la colère et/ou la peur, qui étouffe l'implication émotionnelle du spectateur. Le drame de cette famille déchirée par une injustice sociale, véritable cœur émotionnel du film, est mis de côté au profit d'un conflit iconisé à l'écran. Le risque : que plus rien n'existe derrière la mise en scène.

 

Athena : photoQuand on dit qu'il n'y a pas l'feu...

 

L'écriture d'Athena ne tient alors que sur la confrontation de deux personnages. Cependant, celle-ci est évacuée aux deux tiers du film, débouchant sur une dernière partie plus faible. Une dernière ligne droite stagnante où même la mise en scène opératique de Romain Gavras s'essouffle, à raison d'une emphase trop étirée.

Athena retombe alors comme un soufflé, laissant derrière lui les visages d'une galerie de comédiens plus que convaincants. Saluons ainsi la prestance de Dali Benssalah, la noirceur de Sami Slimane, la folie de Ouassini Embarek et la détresse d'Anthony Bajon, tous impeccables dans le dispositif complexe du plan-séquence.

Athena est disponible sur Netflix depuis le 23 septembre 2022 

 

affiche

 

Résumé

Techniquement impeccable et visuellement sidérant, Athena déploie une ampleur de mise en scène folle et précieuse. Dommage que sur l'autel du grand spectacle, Romain Gavras et ses coscénaristes sacrifient la force de leurs personnages et la pertinence de leur discours.

Autre avis Geoffrey Crété
Côté mise en scène, Athena est un coup de parpaing enflammé et une démonstration de force hallucinante. Dommage que le feu brûle (beaucoup) moins pour la dramaturgie et le discours.
Autre avis Simon Riaux
Surpuissant quand il met en scène une révolte que le cinéma français s'est jusque là refusé de regarder, Athéna embarrasse quand il se frotte à la tragédie, plus proche d'un trou noir du RnB franchouille que d'un grand récit fatal.
Autre avis Alexandre Janowiak
Romain Gavras impressionne avec une mise en scène grandiose, d'une puissance immersive dingue, digne de la grande tragédie revendiquée. Dommage qu'elle soit malheureusement au service d'un scénario hasardeux, sur-symbolique et assez vain.
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Lecteurs

(2.6)

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commentaires
Kyle Reese
03/01/2023 à 01:11

Bien, très bien même j'ai aimé. Mise en scène virtuose surtout le début assez incroyable. Après je n'ai pas été très touché alors que le film est très chaud, brulant même. Je n'avais vu aucun Gavras fils, avait même un apriori sur lui sachant qu'il est très à gauche et très politisé, si je ne me trompe pas (comme son père que j'aimais bcq) et moins doué que son père. Mais j'ai l'impression que c'est le film de la maturité (un sentiment puisque je n'ai rien vu d'autre de lui). Très impressionné par la maitrise de la mise en scène au niveau immersion. Je ne sais pas comment on fait un film comme ça. Mais voilà, après l'émotion ça ne se commande pas. C'est dommage que l'impact émotionnel ne soit pas du niveau de l'impact visuel, peut être qu'au ciné cela aurait été plus fort. Le message ... simple mais efficace. La haine mène à la colère qui mène à la haine qui mène ... Un cercle vicieux. Méfions nous toujours des extrêmes, des 2 cotés

Binjch
30/11/2022 à 19:14

Chef d'oeuvre. Libération , France culture et consorts ont des œillères qui les poussent à tout voir du même biais, celui des bourgeois² j'entends ceux qui n'assument pas (les catholiques zombies de Todd). Bref à voir au plus vite. Je voudrais saluer le travail et la brillance des 400 figurants du film sans lesquels cet ovni n'aurait pu exister, bravo les gars et merci!

Frenchysid
19/10/2022 à 20:50

C est une grosse dobe un mixe entre la la planet des singes et la haine
Il y en a marre de glorifier la haine
Apres tu m etonnes que nos jeunes cassent des vitrines et brules des voitures lors de manif..
C est triste de faire de la pub au fn .
On est pas au etat unis ici peu importe ta couleur tu peux trouver du taff et les cité c est pas c est deux jeunes qui sauvent des bebe qui tombe de balcon ou qui aide les personnes agee lors du covid

Roxy
30/09/2022 à 00:31

La forme est aussi maitrisée (tout en plans séquences techniquement impressionnants, rien à envier au ciné US) que le fond est pourrave ! En bref c'est un film où on t'explique que si les jeunes de banlieue pètent les plombs et deviennent violents, c'est uniquement la faute à l'extrême droite qui tuent des enfants immigrés et à certains flics qui tuent sans sourciller (ceux de la bac dans le film, en l'occurrence). Même Les Misérables, déjà assez détestable, n'allait pas aussi loin dans la caricature, c'est dire !! La cité est filmée comme un camp de concentration dont les prisonniers en révolte seraient les habitants et les gardiens SS les policiers répressifs ! Y a même une scène qui évoque le gouffre de Helm visuellement, où les orques sont remplacés par les CRS avec leurs échelles... Gavras, il est super bon pour la technique mais dans son cerveau on jurerait qu'il n'a pas plus de 12 ans et aucune connaissance de la réalité des banlieues et de leur population, je ne sais pas si son père est fier de son éducation, lui dont les films étaient mille fois plus matures et intelligents... Film débile en somme. Beau visuellement, mise en scène maîtrisée, c'est incontestable, mais scénario tout naze. Les comédiens ne sont pas tous mauvais, par ailleurs (certains seconds rôles en revanche ne savent pas aligner trois mots de façon crédible) mais encore aurait il fallu avoir de vrais personnages bien écrits à incarner. Quant à la musique, totalement à coté de la plaque en plus d'être de qualité discutable (genre composé par un ado de 15 ans sur son ipad). Comme d'habitude dans le ciné français, les banlieusards sont présentés comme d'éternelles victimes, même quand ils tirent à la kalash sur les flics, car tout le système, tout le pays est contre eux vous comprenez. A quand un film réaliste sur la délinquance ? Rien de nouveau sous le soleil.

Un gars qui s'en balek
29/09/2022 à 13:52

J'ai tenu 3min47
Puis j'en pouvais plus de regarder une telle daube..
Voilà pour moi
Merci Gravas... mais abstiens toi stp

BEN01
29/09/2022 à 11:30

Pour moi un vrai moment de cinéma bien au-dessus de la production actuelle!
Une mise en scène, photo époustouflante et un jeu d'acteur franchement impressionnant.
La métaphore du château assiégé est parfaite, la stylisation de la banlieue qui s'enflamme est somptueuse graphiquement parlant.
Alors après, un film, un docufiction, un fantasme de guerre civile, pas bcp de parti pris il est vrai? tout le monde est coupable et victime; donc chacun y prendra son interprétation mais on ne peut s'empêcher de retrouver dans chaque scène un écho d'une réalité qui elle existe bien.

Jean-Claude Vente D'armes
28/09/2022 à 17:35

@Jr
OK. Les cheveux ne m'ont pas choqué pour ma part. Le dealer/caricature, le soldat/caricature et le frère en deuil/en colère/chef de file/caricature beaucoup plus. Les trois pourrait figurer dans un épisode de Julie Lescaux sans faire tâche... Doit-on parler de Mr explosif qui est une blague a lui tout seul?... non... Bon après ce n'est que mon avis un peu tranché après 1h30 de ma vie mal occupée.

JR
28/09/2022 à 16:51

Je ne parlais pas pour vous non, et en soit, la présence de cheveux est également à faire hausser les sourcils. Disons que si le film est à mon sens réaliste, les protagonistes ont un comportement tout sauf logique.

Jean-Claude Vente D'armes
28/09/2022 à 16:06

@JR
Ce n'est certes pas un documentaire mais le film incorpore dans sa diegèse beaucoup d'éléments de la "vraie" vie (le pays dans lequel se déroule l'action, plusieurs sujets très actuels de notre société ainsi que le name-drop de plusieures cités existantes sont des exemples). Je pense même que le film se voudrait "d'anticipation"... Aussi, il est donc tout à fait admissible de lui reprocher un manque de réalisme psychologique et sociétale... Encore plus quand on considère ce que le film veut raconter... Et sinon il fini sur un plan de nuque un tantinet racoleur. Au cas où tu t interroges sur le fait que je l'ai fini...

JR
28/09/2022 à 13:04

Alors, juste pour dire... Tout le monde cite La Haine... Kasso est aussi fils de réalisateur, donc issue de la bourgeoisie. D'ailleurs le film a été taxé des mêmes "compliments" par une partie de la presse à sa sortie...
Deuxièmement, ce n'est pas un "documentaire", le film n'a donc pour vocation réaliste que sa diegese. Et en soit, de ce côté, il tient la route.
Quand je lis Téléfilm, en toute honnêteté, j'ai un doute sur vos appreciation.
Le film mérite d'être fini (même si je m'y suis ennuyé comme une loutre dans une piscine décathlon) pour pouvoir affirmer certains propos.

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