Sans filtre : critique d'une Palme d'or tarée

Alexandre Janowiak | 16 mai 2023 - MAJ : 17/05/2023 10:56
Alexandre Janowiak | 16 mai 2023 - MAJ : 17/05/2023 10:56

Ruben Östlund avait gagné la Palme d'or en 2017 à la surprise générale avec The Squarelong-métrage loufoque qui avait largement divisé la Croisette (jury, presse et public compris). Le réalisateur suédois était d'ailleurs bien décidé à ne pas perdre son titre de sale gosse suprême au Festival de Cannes 2022 vu la folle fureur de son Sans filtre (aka Triangle of Sadness). Et de manière improbable, son long-métrage a également reçu la Palme d'or, stupéfiant les festivaliers, choqués ou ravis de le voir intégrer le cercle restreint des doubles palmés. Mais en vérité, ça vaut quoi ce Sans filtre ?

PALMÉ D'Or

Durant l'ouverture de Sans filtre, on suit un influenceur/reporter (bien malin saura dire qui il est vraiment) dans les coulisses d'un casting de mannequinat pour une grande marque de luxe. En décortiquant leurs expressions faciales, leurs gestuelles, leurs tenus... il se moque complètement des prétendants dans un délire Balenciaga/H&M plutôt amusant. Puis, la caméra s'attarde sur Carl (Harris Dickinson), un jeune homme à la plastique de rêve se présentant à ce casting de mode.

Le jury le fait marcher, le scrute, certains estiment qu'il a besoin d'un peu de botox (notamment dans son "Triangle of Sadness", ce triangle situé entre les sourcils) quand d'autres pensent qu'il manque de charisme... Bref, la foire au n'importe quoi débute et le spectateur n'est pas au bout de ses surprises. Si avec The Square, Ruben Östlund se moquait essentiellement du monde de l'art, avec Sans filtre, le cinéaste décide d'en mettre en effet plein la gueule à tout le monde.

 

 

Assez rapidement, Sans filtre  a été décrit comme l'histoire de Carl et Yaya, un couple de mannequins, dont la croisière de rêve va virer au chaos. Pourtant, le désastre marin à venir va mettre du temps à faire son apparition puisque le film est découpé en trois chapitres très distincts. Le premier présente assez logiquement nos deux personnages principaux : Carl et Yaya (la superbe et regrettée Charlbi Dean Kriek). Les deux n'ont pas le même succès (elle est une star du mannequinat, lui tente de percer après quelques années de dèche), et de fait, une sorte de jeu de dominant-dominé s'est installé entre eux, notamment à propos de l'argent.

Un sujet épineux qui engendre des engueulades complètement folles entre les deux notamment lors d'un dîner en ville après le défilé de mode prestigieux de Yaya. En découle un dialogue insensé sur les femmes, les hommes, le sexisme, le faux-féminisme, leurs différences de salaires, les inégalités... où les deux personnages pètent un plomb stratosphérique. Avec son talent de metteur en scène, Ruben Östlund livre alors un premier acte loufoque, capable de capter avec génie l'absurdité de leur certitude mutuelle (cette porte d'ascenseur hilarante) et leur égocentrisme. De quoi poser les jalons durables de la folie à venir, mais dont personne ne pourrait anticiper l'ampleur.

 

Sans filtre : photo, Harris Dickinson"Tu crois vraiment que c'est seulement ça la taille de mon ego ?"

 

turistA

Car c'est sans doute ce qui fait la plus grande force du métrage de Ruben Östlund (et de son cinéma en général), cette capacité à mener son récit n'importe où, n'importe quand, n'importe comment, surprenant en permanence les spectateurs pour mieux les faire se délecter (ou les agacer) des rebondissements qu'ils n'avaient pas vu venir. Et évidemment, Sans filtre est un mètre étalon du genre. Difficile de trouver un film plus chaos que ce nouveau cru du Suédois.

Le deuxième chapitre se déroule ainsi sur un yacht de luxe où les super-riches en prennent pour leur grade (une livraison aberrante par hélicoptère, des marchands "protecteurs de la démocratie"...) dans un déluge de débilité sociale, politique et économique. Alors, attention, avec le cinéaste, il ne faut pas s'attendre à de la subtilité ou de l'élégance. Au contraire, le propos sur les ultra-riches est complètement balourd et grossier, mais Östlund n'en a rien à faire, convaincu que son impertinence doit passer par une anarchie absolue dénuée de finesse.

 

Sans filtre : photo, Woody Harrelson, Arvin KananianQuand tout va partir en couilles

 

C'est à ce moment-là que le film vit un tournant mémorable, proprement hilarant. Difficile d'en discuter sans trop en révéler, même si la promotion du long-métrage en a tristement beaucoup montré, mais on va essayer de ne pas trop en dévoiler pour laisser un maximum de surprise. Dans les deux précédents films de Ruben Ôstlund, un repas marquait la bascule des personnages et des situations avec une avalanche en pleine pause montagnarde dans Snow Therapy et une performance d'homme-singe virulente dans The Square. 

Dans cette continuité, c'est lors d'un dîner incontrôlable que Sans filtre chavire (littéralement). Avec un jeu habile de cadres et plans débullés, une surenchère d'obscénité crescendo et un timing comique magnifique, Sans filtre s'envole alors dans les cieux de l'hilarité lors d'une scène jubilatoire rappelant autant La Grande bouffe que Le sens de la vie.

 

Triangle of Sadness : photoLes vacances de rêves... ou pas

 

sa vulgarité des mouches

Dès lors, Sans filtre explose tout dans un déluge d'extravagance, de malaise et d'excès où des personnages absolument infects vivent un cauchemar dont on ne peut que s'amuser. Ruben Östlund ne cherche plus à simplement moquer toute sa galerie, il les humilie volontairement pour mieux foutre leur nez dans la répugnante indécence de leur vie mondaine. Alors on rit, on jouit même par la suite de cette destruction des hiérarchies.

En effet, dans le troisième chapitre se déroulant sur une île déserte, le cinéaste va carrément déposséder chaque personnage de son statut quotidien pour mieux opérer un renversement des rapports de force. Un bouleversement social qui va permettre au Suédois de donner, encore un peu plus, un coup de pied dans la fourmilière de la bienséance (voire bien-pensance, diront certains), en s'attaquant finalement non plus uniquement à l'outrance des élites, mais également au possible désir de vengeance des plus pauvres.

 

Sans filtre : Photo Charlbi Dean Kriek, Dolly De Leon, Vicki BerlinUne bascule passionnante sans être spécialement convaincante

 

Autant dire que cet ultime acte a des airs de donneur de leçon très suffisant, le récit se délectant d'affirmer que rien ne peut évoluer dans le bon sens. Incontestablement, pour Östlund, l'égalité n'est qu'un idéal prôné dans le vent, chacun trouvant, in fine, des desseins personnels plus forts que ceux du collectif (et d'autant plus lorsqu'il se trouve en haut de l'échelle). C'est sans nul doute la partie du long-métrage la plus intrigante sur le papier puisqu'elle est portée par une vraie réflexion sociale et sociétale (dans la veine de Sa majesté des mouches), mais malheureusement bien trop pauvre pour vraiment secouer.

D'ailleurs, la durée du long-métrage (2h30) vient souvent ralentir cette fantaisie démesurée et le manque de rythme du chapitre final vient régulièrement plomber les fausses évolutions des personnages (exception d'un dernier plan fabuleux sur Marea (We’ve Lost Dancing) de Fred Again). Toutefois, Sans filtre n'en reste pas moins une satire vulgaire et provocatrice revendiquée par un Ruben Östlund bien décidé à ne pas plaire à tout le monde. Un énorme défouloir réjouissant.

 

Sans filtre : Affiche officielle

Résumé

Sans filtre est un éloge du chaos. Un délire grossier et impertinent démantelant la société, explosant les hiérarchies et détruisant tout le monde dans une folie jubilatoire totalement anarchique.

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Lecteurs

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commentaires
sued
24/05/2023 à 08:43

Excellent film, je me demande même comment les riches et privilégiers du jury ont voter pour ce film.

Pas taré même pas trop délirant ce film remet simplement dans le réel les citadins qui pensent que le métro arrivera toujours à l'heure prévue que les steaks tombent du ciel et qui ne regardent jamais la météo.
La dernière partie ne dis pas que chacun utilisera sa situation à son avantage mais simplement que les riches sont tellement des fifres qu'ils ne servent à rien sur l'île voire même il ne servent à rien tout court.

yo
20/05/2023 à 04:20

ce film manque surtout de tout, soporifique, ennuyeux;;;; chaos, rebellion, satire, ou ça, emportés par les vagues limpides d un navet sur une île, pas de quoi faire un pot au feu

Pc
06/03/2023 à 13:18

Même si la dernière partie sur l Île est, je trouve, moins réussie, j ai beaucoup rigolé durant la projection de ce film. Le scène de beuverie qui vrille totalement entre Woody Harrelson et un des riches passager au milieu d un gerborama total est à mourir de rire.

Chris11
04/01/2023 à 14:15

Défouloir réjouissant? Comique? Satire provocatrice?
On a pas vu le même film. J'ai vu un navet sans intérêt, creux, insipide, nul. Il n'y a rien à sauver, pas même Woody Harrelson que j'adore pourtant. Une palme d'or pour se donner un genre, rien de plus.

Sanchez
28/09/2022 à 20:34

J’ai hâte . Ses 2 premiers films ont leur propre style et ne ressemblent qu’à eux. Son court métrage en plan séquence est également fabuleux

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