Ninjababy : critique En cloque, mode d'emploi

Mathieu Victor-Pujebet | 21 septembre 2022
Mathieu Victor-Pujebet | 21 septembre 2022

Prix du public au festival South by Southwest 2021 et à celui d'Angers, mais aussi passé, entre autres, par la Berlinale et la sélection officielle des Arcs, le nouveau film réalisé par Yngvild Sve FlikkeNinjababy, débarque dans les cinémas français. L'histoire est celle d'une jeune femme, Rakel (Kristine Kujath Thorp), qui apprend du jour au lendemain qu'elle est enceinte de six mois, suite à un coup d’un soir. Il est impossible pour elle de devenir mère, l'adoption devient alors la seule solution.

Baby Bof

Rakel a 23 ans. Elle dessine beaucoup, fait souvent la fête et arrive toujours en retard à ses rendez-vous. Cet archétype de la jeune femme joyeuse et sautillante n'est malheureusement abordé par Ninjababy qu'à travers quelques clipshows on ne peut plus génériques et banales séquences de fantasmes (scène de copulation dans des toilettes).

Des gimmicks de mise en scène mécaniques qui enferment le long-métrage réalisé par Yngvild Sve Flikke dans une exécution un peu trop programmatique, étouffant ainsi l'émotion du spectateur. Les coutures sont connues, donc bien trop visibles, ce qui amoindrit leur efficacité. Malgré tout, l'utilisation de ces codes est loin de rendre le visionnage de Ninjababy insupportable.

 

Photo Kristine Kujath Thorp, Nader KhademiUne romance classique, mais jolie

 

En effet, le joli timing comique du long-métrage parvient à amuser et créer de beaux moments d'humour. Par ailleurs, aux côtés de Rakel, une sacrée galerie de seconds rôles vient compléter une charmante collection de personnages. L'adorable colocataire et l'attachant petit ami de Rakel, respectivement interprétés par les charismatiques Tora Dietrichson et Nader Khademi, accompagnent la protagoniste avec une bienveillance et une tendresse contagieuses.

Le long-métrage réalisé par Yngvild Sve Flikke dégage alors une douce atmosphère bien agréable, qui fait parfois même oublier la fragilité de son dispositif. Cette belle énergie est augmentée d'une astucieuse utilisation de l'animation, qui vient compléter et habiller le cadre à coups de crayon pour accentuer les émotions et sensations des personnages.

Avec, entre autres, quelques traits de BD qui soulignent l'expression d'un acteur, ou une averse d'encre qui illustre l'amertume d'un personnage, cette incursion de l'animation dans les prises de vues réelles ne prend pas le pas sur la mise en scène. Elle en devient un véritable outil sensible supplémentaire, qui est loin d'une forme de démonstration m'as-tu-vue. Une jolie façon de faire corps avec les émotions de son personnage, le tout à travers une forme joyeuse et ludique. 

 

PhotoDe belles idées d'animation

 

Tout sur ma mère

La protagoniste porte, par ailleurs, une bonne partie du long-métrage sur ses épaules. À travers de petits tics et traits de personnalité comme un rapide tapotement sur la tête lorsqu'elle panique ou une belle explosion de joie lorsqu'elle gagne au jeu de rôle, Rakel bénéficie d'une caractérisation tout en détail et finesse, ce qui la rend d'autant plus palpable et attachante.

C'est une protagoniste vivante et pleine d'énergie, mais qui peut aussi être un peu brusque et insolente. Un personnage riche et anti-manichéen, qui témoigne de la sincérité et de l'amour des scénaristes de Ninjababy pour leur histoire. Si la mise en scène ne parvient pas complètement à rendre compte de cette fougue, l'héroïne contamine tout de même jusqu'au ton du film, avec une vivacité qui amuse et diverti.

 

Photo Kristine Kujath ThorpUn personnage incandescent

 

Une vitalité due à l'écriture de la cinéaste et de ses co-scénaristes, autant qu'à l'interprétation de Kristine Kujath Thorp qui, sans aller dans la performance trop démonstrative, atteint un niveau d'expressivité passionnant. La comédienne parvient à trouver un complexe juste milieu entre un jeu vif et inspiré, et une sensibilité d'une jolie acuité.

Ainsi, Kristine Kujath Thorp apporte à Rakel à la fois un dynamisme contagieux et une mélancolie très touchante. Ce mélange de tendresse et d'ardeur fait de la protagoniste de Ninjababy un personnage multiple, et donc profondément humain et touchant

 

Photo Kristine Kujath ThorpLa merveilleuse Kristine Kujath Thorp

 

La Maman et la putain

Une émotion qui prend particulièrement corps au fur et à mesure que Rakel doit réapprendre à s'aimer, alors qu'elle est prise au piège dans sa situation, mais aussi dans son propre corps dont elle perd progressivement le contrôle. Ninjababy dénonce alors comment une certaine pression sociale peut étouffer un individu et remettre violemment son existence en question.

Des problématiques qui ne sont jamais abordées de manière misérabiliste. Au contraire, notamment dans un dernier tiers où Rakel voit sa perception du monde parasitée par l'animation qui l'accompagnait et la soutenait jusque-là, le film réalisé par Yngvild Sve Flikke déploie une jolie amertume qui jure avec son ton joyeux. Cette gravité se manifeste également à travers une collection de thématiques passionnantes que Ninjababy aborde au fil de son récit.

 

PhotoBaby Boss

 

Le consentement, l'adoption, l'avortement, la pression sociale autour de la maternité et l'absence d'envie d'enfanter sont tout autant de problématiques qu'aborde Ninjababy. Le long-métrage se révèle alors plus riche et pertinent que son dispositif anecdotique le laissait initialement entendre.

Cependant, en s'intéressant à un personnage aussi finement caractérisé, et mis en scène avec autant d'empathie et d'affection, le long-métrage réalisé par Yngvild Sve Flikke évite la lourdeur du tract et touche même par instant à une jolie délicatesse. Rakel n'est pas le sujet d'une thèse théorique sur la misogynie latente de notre société, mais bien un personnage passionnant dont les affects sont d'autant plus touchants qu'ils sont confrontés à la violence et la bêtise du monde.

 

Ninjababy : Affiche officielle

Résumé

Ninjababy est un petit bonbon doux et sautillant, qui se mue en un pamphlet engagé et pertinent. Malheureusement, si Yngvild Sve Flikke réussit avec sensibilité à poser ses problématiques sans se détacher de ses personnages, la forme du film demeure trop programmatique et déjà vue pour complètement emporter.

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Lecteurs

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commentaires
Leepifer
29/08/2023 à 23:42

Un petit coup de cœur de cet été.
Parfois un peu répétitif, le cheminement de Rakel n'en reste pas moins touchant. Son rapport à la maternité improvisée donne corps à l'histoire. Les traits d'humour sont les bienvenus même pour Jésus Trique qui se révèle plus important qu'il n'en avait l'air.

Ozymandias
28/06/2023 à 19:39

Film sympathique, je suis plutôt aligné avec votre critique ;-).

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