Tout le monde aime Jeanne : critique de la femme de l'année

A ghost story

Entre les retrouvailles avec le fantasque Jean et les amusantes péripéties de la protagoniste dans la ville de Lisbonne, les aventures de Jeanne sont racontées avec ludisme et humour. Mais l'une des singularités de Tout le monde aime Jeanne, dans le lot des comédies françaises contemporaines, vient du fait que son ton léger ne vient pas exclusivement de ses répliques, du jeu de ses comédiens, ou des situations mises en scène par le cinéaste.

En effet, Tout le monde aime Jeanne est traversé de quelques passages animés, apparitions dessinées d'un petit fantôme chevelu qui exprime au spectateur les pensées et ressentis intimes de son personnage principal. Ce petit fantôme a été dessiné par la réalisatrice elle-même, Céline Devaux, qui lui prête également sa voix.

Illusion de légèreté

Une jolie idée, sur le papier, pour retranscrire avec un côté enfantin et innocent l'intériorité de la protagoniste, tout en teintant le film d'une forme de joie et d'insouciance à grands coups de répliques ironiques et narquoises. Hélas, dans les faits, ce petit fantôme sert la plupart du temps de procédé comique un peu lourdingue pour souligner la rupture entre ce que Jeanne exprime à son entourage, et ce qu'elle pense et ressent vraiment.

Un dispositif pas inintéressant qui est malheureusement exploité d'une façon bien trop redondante et mécanique pour réellement faire mouche. Par ailleurs, en exprimant à voix haute ce que la mise en scène est censée faire ressentir, ce dispositif étouffe un peu l'émotion du spectateur durant toute une partie du film. C'est comme si la cinéaste ne faisait pas entièrement confiance ni en sa mise en scène ni en son écriture... à tort.

Quand tu n'en peux plus de ce fantôme de m%#£& !

Funny People

Outre ces inégales situations comiques centrées autour de l'animation, Tout le monde aime Jeanne est traversé de dialogues à la nonchalance vraiment réjouissante. En se disant tout, tout le temps, et de la façon la plus directe possible sans pour autant tomber dans la punchline, les personnages qui accompagnent Jeanne sont à la fois source de fraîcheur, mais aussi de beaux éclats de rire.

La palme revient à Jean, joué par un Laurent Lafitte solaire dont la tendre insolence vole quasi systématiquement la vedette à n'importe quel comédien qui partage le cadre avec lui. L'étonnante retenue de l'acteur face à l'extravagance de son personnage fait de Jean un pur plaisir comique à la fois grotesque et profondément séduisant.

Un duo d'acteurs hyper réjouissant

L'autre énorme plaisir de Tout le monde aime Jeanne côté casting c'est bien sûr la géniale Blanche Gardin, dont l'énergie comique dissimulée derrière une fausse aigreur est toujours aussi efficace et transparaît dans chaque plan du film. Si l'actrice est loin d'être exploitée en contre-emploi de ce qu'elle propose de façon générale, c'est en mesurant ses effets qu'elle parvient à livrer une interprétation particulièrement convaincante et drôle.

Il faut aussi citer Maxence Tual, dont la sobriété de jeu met à profit une force humoristique tranquille soigneusement employée en une collection de répliques taquines, drôles et chaleureuses. La grande réussite de Céline Devaux tient alors dans la façon avec laquelle elle tire de ses acteurs une performance d'une étonnante économie, tout en leur laissant la place nécessaire pour déployer une générosité très divertissante.

Une souplesse qui prend notamment forme dans une mise en scène qui trouve un astucieux juste milieu entre un tempo comique imparable et une belle amplitude laissée aux silences et aux contretemps des comédiens. Chacun a le temps et l'espace nécessaires pour faire exister son personnage au sein du cadre et du découpage.

Une Blanche Gardin bien entourée

Jeanne (en 12 chapitres)

Mais si cette chère Blanche Gardin est belle et bien mise en avant dans la mise en scène, sa Jeanne se trouve tout de même écrasée par le charisme des personnages secondaires. Entre le spectre de sa mère qui vient lui rendre visite et les souvenirs ressassés de son passé, Jeanne est enfermée dans un deuil retranscrit de façon mécanique et répétitive par le long-métrage.

Ainsi, alors que sa propre tristesse éloigne Jeanne de son entourage, les motifs surutilisés qu'emploie Céline Devaux pour retranscrire sa solitude étouffent l'empathie du public. Ses enjeux émotionnels perdent alors de l'intérêt et le spectateur se met vite à s'impatienter du retour des personnages de Laurent Lafitte et de Maxence Tual.

Vous reprendrez bien encore un peu de vacances ?

Mais lorsque Céline Devaux réunit sa joyeuse troupe autour de belles séquences comme celle des assiettes brisées ou celle de la soirée à trois, la tendresse infinie des protagonistes transforme Tout le monde aime Jeanne en un vrai plaisir de comédie très attachant. L'insouciance de Jean et la tendresse de Simon contamine d'une grande douceur le long-métrage, la folie douce des deux comparses apportant à Jeanne un réconfort au rayonnement contagieux pour le spectateur.

Cette chaleur est augmentée d'une photographie analogique signée Olivier Boonjing (Lola vers la mer, Rien à foutre) qui capte avec acuité le soleil éclatant de Lisbonne. L'utilisation de la pellicule donne une profondeur aux blancs de l'image et ajoute ainsi à la jouissance d'une atmosphère solaire et décontractée.